Читаем Napoléon. Le soleil d'Austerlitz полностью

Puis il quitte le salon, rentre dans son cabinet de travail. Il reprend la lecture des rapports.

On dit qu'il refait le Comité de salut public, que les temps de la Terreur sont revenus.

Il hausse les épaules. S'il le faut, contre les Princes, pourquoi pas ?

« Tout le monde parle de l'arrestation du général Moreau, note l'un de ces rapports. Tous les militaires qui ont servi sous ses ordres le disent incapable d'entrer dans une conspiration, qu'il est aussi honnête homme, affable, populaire, bienfaisant, que bon général ; qu'ils le regarderaient comme leur père et qu'ils verseraient volontiers jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour lui, enfin, que cette arrestation est une affaire de parti plus que de justice... »

Il repousse le rapport.

La colère est tombée.

La raison doit toujours l'emporter. Moreau est encore une force dans l'opinion. S'il acceptait ma clémence, je pourrais dire comme Auguste : « Soyons ami, Cinna ».

Il convoque le Grand Juge Régnier. Est-ce l'homme qui convient ? Si Fouché était encore ministre de la Police, tout serait plus efficace. Peut-être Pichegru et Cadoudal seraient-ils déjà pris.

- Allez interroger Moreau dans sa prison, dit Napoléon à Régnier. Amenez-le dans votre voiture aux Tuileries, qu'il convienne de tout avec moi, et j'oublierai les égarements produits par une jalousie qui était plutôt celle de son entourage que la sienne même.

Régnier paraît effaré.

Vous m'entendez, vous m'entendez, répète plusieurs fois Napoléon.

Puis il attend.

Ce qui compte, c'est de briser Moreau, et peu importe qu'il soit condamné ou soumis.

Les heures passent.

Voici le Grand Juge de retour. Moreau n'a pas demandé à voir le Premier consul, explique-t-il. Napoléon se détourne. Moreau est un imbécile. Il tombera quand Pichegru et Cadoudal seront pris.

Il a donné l'ordre qu'on l'avertisse immédiatement d'une arrestation.

Dans la nuit du 26 au 27 février, on le réveille.

Pichegru a été empoigné dans son lit, 39, rue Chabanais. Dénoncé comme il se doit pour cent mille francs, Pichegru s'est battu plusieurs minutes avant d'être emporté, lié, enveloppé dans des couvertures, présenté à Réal et emprisonné aussitôt au Temple.

A-t-on le temps de se souvenir du général Pichegru, brillant, placé au sommet des honneurs, président du Conseil des Cinq-Cents, qui fut répétiteur de mathématiques au collège de Brienne et proscrit en 1797 quand, en fructidor, j'envoyai Augereau servir Barras ? !

Mais le temps manque pour penser au destin de Pichegru. Cadoudal reste libre.

Dans les heures qui suivent, on arrête MM. Armand et Jules de Polignac, et M. de Rivière.

Les voilà donc pris, ces représentants des aristocrates que pourtant j'ai tenté de rallier ! Et les chouans arrêtés prétendent dans leurs aveux qu'un prince est attendu pour, après ma mort, rallier le pays.

Un prince ? Un Bourbon ? Le comte d'Artois ? Le duc de Berry ? Qui d'autre ?

Napoléon lance à Talleyrand :

- Les Bourbons croient qu'on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu'ils veulent m'inspirer. Je pardonne à Moreau sa faiblesse, et l'entraînement d'une sotte jalousie.

Sa voix s'élève, sèche, tranchante.

- Mais je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui tombera sous ma main. Je leur apprendrai à quel homme ils ont affaire.

23.

Le jour se lève, le 1er mars 1804. Napoléon a froid. Il a si peu dormi. Il reste un instant devant la cheminée, puis il va de son cabinet à la pièce où les cartes et les plans sont déployés. Il les regarde mais il s'en détourne presque aussitôt. Il ne veut pas, il ne peut pas penser à la « descente » en Angleterre. Il ne lit plus les courriers que lui envoie l'amiral Bruix. Plus tard, après, quand la conspiration sera écrasée et quand toutes les racines en seront arrachées, il pourra à nouveau penser à l'invasion, à la Grande Armée.

Mais l'heure n'est pas venue encore. Cadoudal rôde avec ses exécuteurs, ses « tape-dur ». Moreau se tait ou nie ; Pichegru, dans sa prison du Temple, tourne comme un chien enragé. Et l'opinion reste incertaine, pas encore convaincue, malgré les arrestations, de la réalité du complot.

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