Étouffant le bruit de ses pas, il pénétra dans la cabine en éteignant sa lampe. Vaill et Charb s’y trouvaient déjà en compagnie de quelques veilleurs. Vaill désigna l’étendue sableuse, souillée de rares touffes d’herbe. À un demi-stade de la ville, une sphère avait atterri. Un, deux… cinq draags gigantesques vaquaient aux alentours.
Le plus grand s’était juché sur une dune et contemplait l’océan. Un autre, vautré dans le sable, grignotait béatement le contenu d’une boîte de conserve. Les trois derniers se penchaient sur le moteur de la sphère décapotée. Du mirador, on entendait le lourd murmure de leur conversation.
— Ils sont en panne, souffla Charb.
Terr secoua lentement la tête:
— Je n’aime pas ça, dit-il.
Quêtant une explication, ses compagnons lui jetèrent des regards étonnés. Mais il se tut, attentif aux moindres gestes des géants batraciens.
Au bout de longues heures, les draags remontèrent dans leur appareil, qui décolla aussitôt. En quelques secondes, la sphère disparut à l’horizon.
— Fin d’alerte! ordonna Terr.
Et tandis qu’un om transmettait son ordre par téléboîte, il regarda ses amis d’un air grave.
— Aucune sphère ne passe jamais par ici, dit-il. Ces draags sont venus dans un but précis. Leur panne était un simulacre.
Vaill protesta:
— Comment peux-tu être aussi affirmatif?
Terr poursuivit sans répondre directement:
— Avez-vous déjà vu un draag manger couché sur le côté? En avez-vous déjà vu mettre une heure à vider une boîte d’aliments? Celui-là jouait la comédie! Il fiximageait les ruines!
Charb fit un bond.
— Tu es sûr?
— Aussi sûr, dit Terr, que l’autre enfonçait je ne sais quoi dans le sable, avec un air détaché. Il a cerné la ville de détecteurs ou de quelque chose d’approchant, tout en affectant de se promener. Suivez-moi dans les dunes, nous allons voir ça de près.
Ils descendirent du mirador et coururent à l’endroit où le draag avait commencé son travail. Il ne leur fallut pas longtemps pour tirer du sable un objet rond surmonté d’une antenne de métal.
— Qu’est-ce que c’est? demanda Vaillant.
— Je voudrais bien le savoir, dit Terr. Fais-moi porter ça avec précaution jusqu’aux laboratoires.
Il regarda ses amis et ajouta:
— Oms! Le temps presse. Nous effectuerons l’Exode la nuit prochaine. Les draags sont trop lents pour prendre une décision d’ici là.
— Mais le troisième appareil n’est pas prêt!
— Il le sera. Nous allons tripler la cadence. Nous le mettrons à l’eau sans essais. Il n’est plus question de répétition générale. Charb! Fais le nécessaire auprès des chefs de salle. Je veux que l’on charge le troisième navire dès maintenant, sans attendre qu’il soit terminé. S’il y a du retard, nous le remorquerons avec les deux autres.
— Comment n’avons-nous pas été prévenus par les réseaux?
— Les faux oms de luxe ne peuvent pas se glisser partout. Et puis, le Grand Conseil ne se tient pas sur ce continent!
— Les unités de pillage n’auront pas le temps de rentrer.
— Je sais. J’en souffre plus que vous ne pouvez l’imaginer. Mais nous ne saurions sacrifier l’Exode pour quelques vies d’oms. Nous allons prendre un risque, cependant. Vaill, fais rentrer le plus de monde possible par téléboîte. J’espère que tes appels ne seront pas captés. Dis à ceux qui sont trop loin d’interrompre toute activité régulière et de se réfugier là où ils pourront.
Tout en revenant vers les ruines, Terr plissa le front.
— Pourvu qu’ils n’aient pas décelé les trois navires, dit-il. Avons-nous de la tôle fine?
— Je vais demander aux réserves, dit Charb. Mais j’imagine qu’il en reste des mégapoids. Pourquoi?
L’Édile eut un geste vague.
— Je médite un petit truquage pour tromper les draags.
4
Un timbre vibra sur la table du Premier Édile A sud. Il pressa un bouton et dit «Oui?».
— L’opération «Vieux Port» est terminée, Premier Édile, dit une voix. Les fiximages sont au laboratoire.
L’Édile tressaillit.
— Faites-les monter à mesure qu’elles sortent, ordonna-t-il.
Il toucha un autre contact et dit:
— Le Maître Sinh doit arriver dans quelques minutes au sphérodrome intercontinental. Faites le nécessaire pour qu’il soit chez moi le plus tôt possible.
Bientôt, les premières épreuves fiximagées tombèrent dans le tiroir réservé aux plis d’urgence. L’Édile s’en empara et les étala sur sa table. Il scruta les vues agrandies de la ville abandonnée. De temps en temps, il gloussait. De faibles indices lui révélaient dans ces ruines une forte concentration d’oms. Il encadra d’un trait rouge un ancien caniveau truffé d’empreintes de pieds nus, fit de même autour de trois petites silhouettes se découpant à contre-jour dans la faille d’un vieux mur et nota la présence insolite d’une pile de boîtes neuves, mal cachées par un rideau d’herbes.
On lui annonça l’arrivée du Maître Sinh. Ils ne se perdirent pas en vaines politesses. L’Édile désigna les images au vieux savant. Celui-ci les parcourut rapidement du regard et dit:
— Ce n’est pas très intéressant. Nous savions déjà qu’il y avait des oms dans cette ville. Vous n’avez travaillé qu’en surface?
— Non pas, Maître, dit l’Édile.