Les draags n’en revenaient pas de rencontrer des oms accoutrés de la sorte. Ils les avaient toujours vus nus et humiliés par le port d’un collier. Et ce spectacle leur aurait paru comique s’ils ne s’étaient pas rappelé les événements des jours précédents.
Lui-même paré des insignes de sa fonction, le Maître Sinh accueillit l’Édile des oms avec de grands égards et l’invita à le suivre dans sa cabine.
Ils eurent une longue conversation. Terr s’efforçait de parler lentement et de bien prononcer toutes les consonnes pour se faire comprendre du draag. Mais sa pensée allait beaucoup plus vite que ses mots et lui donnait l’avantage dans la discussion.
Le vieux draag n’en était pas dupe et se sentait en infériorité.
— Je crains fort, disait-il, que la signature de ces accords ne vous rendent bientôt maîtres de la planète. Vous êtes beaucoup plus rapides que nous. Certes, nous vivons plus longtemps, mais vous vous multipliez très vite. Vos techniques, votre civilisation n’auront pas de mal à dépasser la nôtre en peu d’années.
Terr fut absolu et sincère dans sa réponse.
— Non! dit-il. Il existe, Édile Suprême, un grand danger pour une race évoluée: la sclérose. Vous connaissez le passé des oms et vous en savez quelque chose. Quand une civilisation atteint son point de perfection, elle devient une gigantesque machine, incapable de progrès, et dont tous les membres ne sont plus que des rouages sans pensée.
— C’est de cette situation que nous vous avons tirés en vous amenant sur Ygam.
— Je sais. Nous vous en sommes en quelque sorte reconnaissants. C’est pourquoi je vous mets en garde, Édile Suprême. Votre société donne des signes de sénilité. Elle est trop parfaite, et peu à peu, les draags deviennent des robots routiniers. Voyez le mal que vous avez eu à réveiller l’énergie de vos congénères. Encore quelques dizaines de lustres sur cette pente facile et vous ne serez plus qu’une vaste «fourmilière» sans âme. J’emploie des mots que vous connaissez, puisque vous avez étudié les animaux terrestres.
Le Maître Sinh eut un vague geste de membrane. Il se pencha en avant pour être à la hauteur de son interlocuteur.
— Nous serons encore plus à votre merci.
— Pas du tout. Car si vous étudiez bien l’article 10 du traité que, je l’espère, vous allez signer tout à l’heure, vous en verrez tout l’intérêt pour nos deux peuples. Il prévoit une large association de nos deux civilisations. Il n’y aura plus de race maîtresse, mais deux races égales, qui travailleront côte à côte, en se faisant mutuellement bénéficier de leurs progrès. En sentant près de vous cette amicale rivalité, vous éviterez la sclérose collective dont je parlais tout à l’heure. Et vous jouerez le même rôle sur nous. Je prévois pour nos deux races un avenir extraordinaire, conquis grâce au ressort de l’émulation.
— Tout cela sera bien long à mettre en route. Les draags sont encore désemparés à votre sujet. Certains vous chérissent comme de gentils animaux, d’autres vous craignent comme de futurs conquérants.
— Et ces deux attitudes nous blessent autant l’une que l’autre, l’une dans notre orgueil, l’autre dans notre loyauté. Les plaies sont encore trop fraîches. Faites confiance au temps.
L’Édile Suprême des draags tendit lentement sa main vers celle de l’Édile des oms. Puis il apposa son sceau au bas du traité.
Il redressa son vieux corps et alla ouvrir la porte de la cabine.
— Draags, dit-il, et vous, petits oms, j’ai signé! Le travail de vos Édiles est terminé. La mise au point des détails sera votée par les conseils. Nos deux races sont unies pour le meilleur et pour le pire!
Dans le soir doré descendant sur la mer, deux vaisseaux s’accotaient l’un à l’autre, comme deux amis. Des hymnes draags et des chants d’oms ondulaient dans la brise.