Il se tourna vers le vieux draag découragé:
— Édile Suprême, dit-il. On vient de capter une émission des oms. Ils nous font des propositions.
9
Dans la ville des Hauts Plateaux, loin de chanter victoire, on attendait anxieusement la réponse des draags. Les oms étaient épuisés par une longue nuit de combat où, cependant, la plupart n’avaient rien fait d’autre que de rester couchés avec des aiguilles dans les membres pour donner du courant à l’émetteur.
Dans la salle du Conseil, Terr tripotait nerveusement le texte de ses propositions. Il en remâchait des passages à mi-voix:
— «Depuis des années déjà, des millions d’oms s’embarquent clandestinement à destination du Continent Sauvage. Nous y avons bâti une civilisation qui vaut bien la vôtre. Draags, pourquoi poursuivre une guerre inutile alors que vous avez tout à gagner à collaborer avec nous? Nous ne sommes pas vos ennemis. Nous nous sommes contentés de nous défendre. Il nous serait pourtant facile de brûler vos capitales…»
Terr soupira et jeta son papier sur la table.
— Ce bluff est notre dernière chance, dit-il. Il nous reste juste assez de courant pour dévier une vingtaine de fusées. Les oms ne tiennent plus le coup. Il ne reste qu’une petite centaine de milliers d’individus courageux en batterie. Il a fallu exempter progressivement tous les autres.
Charb lui mit la main sur l’épaule.
— Ne te désole pas. De toute façon, nous aurions mené une vie misérable chez les draags. Grâce à toi, nous avons vécu une extraordinaire aventure. Et d’ailleurs, rien ne dit que…
Une téléboîte bourdonna. Vaill se précipita sur elle et se releva presque aussitôt, les joues rouges d’excitation.
— Les draags acceptent nos propositions! cria-t-il.
Tout le monde se dressa d’un seul coup, assailli d’une joie presque douloureuse. Puis ce furent des rires et des embrassades, des vivats et des cabrioles bien peu dignes d’un Conseil.
Quand le calme revint, Terr frappa du poing sur la table.
— Pour maintenir notre bluff jusqu’au bout, dit-il, il faut que les plénipotentiaires se présentent aux draags dans un appareil éblouissant. Un navire draag doit rencontrer le nôtre dans cinq jours, en plein océan, à mi-chemin de nos côtes respectives. En cinq jours, nous avons le temps de faire des merveilles. Je veux que le navire soit révisé à fond, repeint, équipé de fausses antennes et de lance-rayons postiches qui donnent aux draags une haute idée de nos techniques. Nous n’avons pas de vérifications à craindre. Leur taille les empêche de visiter un bâtiment dont les accès sont à notre mesure.
Vaill lui coupa la parole. Il était blême.
— Nous n’avons pas pensé à une chose, dit-il. Les navires draags vont continuer de sauter sur les œufs qui pourrissent le «Siwo Retour»! Les draags vont nous suspecter de déloyauté et reprendre une offensive désespérée!
— C’est prévu, ricana Terr. Les draags sont avertis que la sortie de leurs ports militaires est menacée par nos armes. Ils acceptent d’envoyer leur bateau par un port civil situé plus au sud, dans une zone sans danger. Nous avons été intransigeants sur ce point parce que nous ne pouvions pas faire autrement. J’avais d’ailleurs une peur bleue qu’ils refusent de s’abaisser à ce point.
Vaill s’étonna:
— En somme, c’est une espèce d’ultimatum. Et ils ont accepté!
— Extraordinaire, mais vrai! Tu oublies que les draags se sont déshabitués de la guerre depuis des lustres. L’échec de leur offensive a brisé leur moral. Cela nous permet des airs de vainqueurs. Ils nous croient capables de tout. Nous allons pouvoir dicter des conditions qui, très osées de notre part, leur paraîtront d’une douceur relative étant donné nos succès.
Un vacarme filtrait de toute la ville troglodyte. Un om entra dans la salle, les yeux fous, le sourire aux lèvres.
— On demande l’Édile, cria-t-il. Montrez-vous, Édile, ou bien la foule va forcer les barrages.
Suivi des membres du Conseil, Terr enfila un corridor menant à une ouverture. Il déboucha sur une terrasse, à mi-hauteur d’une grotte immense, et leva les deux mains, salué par une foule hurlante d’oms en délire.
Le bas de la grotte grouillait de visages levés, de bouches ouvertes, de silhouettes gesticulantes. Dans leur enthousiasme primitif, des femelles s’arrachaient les cheveux et les jetaient vers l’Édile, des mâles formaient des pyramides de muscles au sommet desquelles des enfants riaient aux éclats en agitant leurs petits bras.
10
Cinq jours plus tard, deux navires se rencontraient en pleine mer et se saluaient en lançant des gerbes de rayons vers le ciel.
Le bâtiment des oms brillait de mille feux sous le soleil. Il s’avança rapidement vers le bateau draag et l’accosta en une manœuvre impeccable. Rangés sur le pont, les hommes d’équipage, casqués et magnifiques dans leurs uniformes, rendaient les honneurs à leurs adversaires de naguère.
Sanglé dans une tunique luisante, botté de plastique, arborant un rutilant pectoral, Terr monta lentement à bord du vaisseau draag, suivi par une dizaine d’oms.