— Mais tu pourras venir le voir d’ici là, dit le voisin en lui enlevant le bébé.
— Oui, dit le père, quelques jours sont vite passés. Et puis, il faut me laisser le temps de faire aménager une omerie à la maison.
Tiwa désigna le coussin sur lequel la mère ome retournait ses petits en tous sens pour voir s’ils n’avaient pas souffert des draags.
— Il y aura un coussin comme ça dans l’omerie?
— Bien sûr.
— Et une mangeoire comme ça?
— Mais oui!
Elle sauta sur place en faisant claquer ses membranes axillaires. Elle chantonna:
— Un petit om! Un petit om!
Puis, soudain plus sérieuse:
— C’est la bête que je préfère!
Les deux draags sourirent.
— Et pourquoi?
— Parce que ça peut parler, ça peut même nager quand on leur apprend.
— Oui, mais assez mal… Eh bien! nous allons laisser notre voisin tranquille.
Il se tourna vers Faoz en dépliant ses membranes.
— Merci, Faoz. Bonheur sur toi!
— Bonheur, dit Faoz en les reconduisant. Ne me remerciez pas, c’est peu de chose.
Il caressa la tête lisse de Tiwa.
— Bonheur, petite. Et à bientôt!
— Bonheur sur toi, voisin Faoz.
Elle traversa le terre-plein en sautillant de joie, à la suite de son père. Elle était heureuse; dans quelques jours, les petits oms sauraient marcher, elle pourrait prendre le sien.
Il est vrai qu’un seul jour de la grosse planète Ygam équivalait à quarante-cinq jours d’une petite planète nommée Terre, monde très lointain d’où les oms étaient originaires.
2
Quand le petit om choisi par Tiwa fut assez grand pour marcher seul, on le sépara de sa mère. Le voisin Faoz exigea que cette séparation fût progressive, car il était bon et aimait les bêtes.
Il commença par confier le petit à Tiwa pendant une seule heure par jour, puis deux, et ainsi de suite… Ainsi, la mère et le petit se déshabituaient peu à peu l’un de l’autre. Au début, la mère geignit interminablement à chaque départ de son fils pour la demeure voisine. Puis elle reporta de plus en plus son affection sur son autre enfant.
Quand on installa définitivement le petit om dans l’omerie aménagée à son intention, la mère ne souffrit plus que d’un vague regret sans objet précis. Mais pendant plusieurs jours encore, elle geignait, par moments, sans bien savoir pourquoi.
Quand Tiwa sut qu’on ne lui reprendrait plus son petit om, elle dit:
— Cette fois, il est bien à moi! Comment vais-je l’appeler?
— Le nom de la mère ome est Doucette, conseilla son père, appelle-le Doucet.
Tiwa regarda le jeune animal qui arrachait à poignées le gazon de la salle de nature.
Il s’accroupissait sur ses petites jambes potelées, crispait ses poings dans l’herbe avec un air de béatitude sur le visage et jetait des touffes vertes dans l’eau de la piscine en poussant de grands rires de jubilation.
— Doucet ne lui irait pas, dit l’enfant draag. Regarde comme il est vigoureux!
— Il faut l’arrêter, dit Praw. Ce petit démon va saccager la salle de nature.
Il brandit les bras, déplia ses membranes et envoya du vent en direction du petit om, en disant:
— Hou! Veux-tu bien cesser, petit démon!
— Non, père, dit Tiwa, tu vas lui faire peur. Il ne sait pas ce qu’il fait, c’est une petite bête!
Mais l’animal ne semblait pas effrayé du tout. Imitant le draag, il agitait ses petits bras et criait à son tour:
— Hou! Ti démon, hou!
Le père et la fille éclatèrent de rire. Néanmoins, le draag fit deux grands pas vers l’om et le prit par une jambe. Il le fit tournoyer dans sa main et l’emmena dans l’omerie malgré les protestations de Tiwa.
— Il faut qu’il dorme un peu, dit-il en fermant la porte de l’omerie. Il a fait assez de bêtises depuis tout à l’heure, il a besoin de se reposer.
Il ajouta, pour détourner le mécontentement de sa petite fille:
— Finalement, quel nom vas-tu lui donner? Il a déjà de beaux cheveux, comme sa mère. Appelle-le Doré.
La petite fit la moue, tandis que son père la poussait doucement vers la salle de nature.
— Il y a trop d’oms qui s’appellent Doré parce qu’ils ont des cheveux comme ça, dit-elle.
À cet instant, on entendit au loin deux petits poings frapper la porte de l’omerie tandis qu’une voix aiguë criait:
— Hou, ti démon!
Les deux draags rirent encore.
— Il est terrible! s’exclama le père.
La petite cessa de rire d’un seul coup.
— Père, dit-elle, je l’appellerai Terrible.
Praw s’étonna:
— Ce n’est pas un nom d’om!
— Ça ne fait rien, père, je trouve que ça lui va bien. Pour aller plus vite, je lui dirai Terr!
Praw sourit.
— Fais comme tu veux, Tiwa, cet om est à toi.
— J’écrirai son nom sur son collier, je… Oh! père, il n’a pas encore de collier!
— Nous lui en achèterons un.
Tiwa trépigna.
— Tout de suite, père, tout de suite. Emmène-moi acheter un collier pour Terr!
Une draag aux yeux verts entra dans la salle de nature. Praw se tourna vers elle.
— Tu entends, Wami, la petite veut que j’achète un collier pour l’om.
Tiwa supplia la draag à son tour.
— Mère, tu veux bien? Tu veux bien que je sorte avec père pour acheter un collier à Terr?
— Terr? dit la mère de Tiwa. Qui est Terr?
— C’est le nom que j’ai donné à mon petit om.
La draag fit claquer ses membranes avec sévérité.