— Imagine, dit-il, un draag particulièrement bête sur une planète étrangère. Il arriverait à connaître dans la langue des étrangers une bonne centaine de mots utiles: sucre, sortir, faim, soif. Mais il serait incapable de former des phrases.
— Et alors?
— Mais, suis-moi bien, il pourrait parfaitement «réciter» des phrases entendues, par cœur, sans en comprendre la signification. C’est exactement le cas du petit Terr.
Wami haussa encore les épaules.
— Voilà bien des mots pour un fait insignifiant! Cet om est très attaché à Tiwa, il la suit partout. Il a dû l’entendre réciter ses leçons et les a apprises machinalement sans savoir ce qu’il faisait. L’incident est clos, n’en parlons plus.
Elle se tourna vers Tiwa.
— Cela me fait penser à quelque chose; tu ne t’es pas encore instruite aujourd’hui. Dépêche-toi de mettre tes écouteurs.
Docilement, Tiwa alla pour décrocher ses écouteurs. Mais elle s’arrêta net. Sur le mur, le crochet était toujours là, mais les écouteurs avaient disparu.
Praw s’aperçut de la gêne de sa fille.
— Où les as-tu encore laissés traîner? dit-il en faisant claquer ses membranes.
— Je ne sais pas, père.
— Cherche bien. D’habitude tu t’assois sous les palmes, au bord de la piscine.
Ils cherchèrent dans l’herbe sans rien trouver. Tiwa plongea même pour explorer le fond de la piscine. Ils scrutèrent en vain les moindres recoins de la salle de nature.
— Je parie que tu as laissé Terr s’amuser avec, gronda Praw. Ces appareils sont très chers, tu n’es pas raisonnable, Tiwa.
Les yeux rouges de Tiwa se voilèrent de contrariété.
— Je t’assure, père…
— Je ne suis pas assez sévère avec toi, coupa le draag.
— Mais, père, je n’ai jamais laissé l’om jouer avec les écouteurs, c’est la vérité!
Le père resta songeur.
— Cela expliquerait pourtant bien des choses, dit-il… Où est Terr?
— Terr! appela la petite.
Le petit om ne répondit pas à cet appel.
— Il se cache, ce petit gredin, dit Praw. Terr, veux-tu venir! Terr, un sucre!
— Terr, viens chercher un sucre!
La mère draag revint dans la salle.
— Que se passe-t-il, dit-elle. Vous en faites un vacarme. Ce n’est plus le moment de jouer avec cet om. Je t’avais dit de t’instruire, Tiwa!
— Elle ne peut pas, gémit Praw, les écouteurs ont disparu! Terr a disparu aussi!
— Mais non, dit Wami, je viens de le voir dans le couloir.
— Terr!
Ils se précipitèrent tous les trois dans le couloir.
— Où était-il?
— Là, sur ce siège.
— Bon sang, jura Praw.
Il tendit un doigt vers le siège.
— Pourquoi gesticules-tu comme ça?
— Les écouteurs! dit Praw.
— Eh bien?
— L’om pouvait très bien atteindre les écouteurs en montant sur ce siège. Je parie qu’il s’amuse avec en ce moment. S’il les casse…!
Il alla vers l’omerie dont la porte était restée grande ouverte. La petite pièce était vide.
— Où est-il passé, ce petit démon?
Tiwa éclata en sanglots à l’idée d’avoir perdu son om.
— Au lieu de pleurer, dit sa mère, tu ferais mieux de mettre ton bracelet, c’est le seul moyen de le retrouver. Tu ne l’as pas perdu au moins?
— Je… Je l’ai laissé dans la poche de ma tunique, hoqueta Tiwa.
— Eh bien, fais vite!
La petite draag courut à la salle de nature, fouilla sa tunique et passa son bracelet. Elle y pressa un bouton. Elle leva une tête malheureuse.
— Eh bien? répéta le père draag.
— Il doit être déjà loin, pleurnicha Tiwa, le bracelet me tire un peu par là, mais pas beaucoup.
Elle désignait l’entrée de la maison. La porte était entrebâillée.
— Il est sorti! Je m’en doutais, dit Praw. Tire sur la laisse, Tiwa.
— Oh! non, dit Tiwa, si je tire trop fort, il va se cogner sur quelque chose. Il peut se faire très mal.
Agacé, le père draag lui prit le bracelet et pressa le bouton au maximum pour attirer à lui le plus fort possible le collier de Terr.
4
Terr courait. Il avait déjà franchi une dizaine de terre-pleins et avait dévalé un plan incliné à toute vitesse lorsqu’il se sentit brusquement étranglé par son collier. Il lâcha les écouteurs et porta les mains à son cou.
Tiré par une force invisible, il fit trois pas en arrière et se retourna pour subir la traction sur la nuque et non sur la gorge. Il fit encore quelques pas malgré lui et se cramponna de toutes ses forces à une barre métallique dépassant du parapet.
À cet instant, il sentit une main dure se poser sur son épaule. Il faillit crier de rage et tourna vers l’intrus un visage congestionné par l’effort. Un grand om à barbe noire était derrière lui et lui disait:
— C’que t’es ballot!
— Aide-moi, suffoqua Terr.
En ricanant, l’inconnu pressa le bouton du collier. Celui-ci s’élargit assez pour laisser passer la tête du petit om. L’om barbu ricana encore, brandit le collier qui paraissait vouloir s’envoler et le lâcha d’un seul coup. L’objet fila dans les airs, rebondit sur un terre-plein et disparut à leurs yeux.
— Faudrait qu’ils le prennent en pleine fente nasale! s’exclama le barbu. Ça les retarderait un peu!
Il poussa Terr par les épaules.
— Filons vite!
Le petit om suivit d’abord son nouvel allié qui détalait à toutes jambes, puis il s’arrêta net et revint sur ses pas.