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Vénérée Qval Frana,

Une première escarmouche a opposé notre petite troupe aux protecteurs des sentiers. Quelques jours avant, une délégation de couilles-à-masques avait demandé à me rencontrer. Ils venaient m’ordonner de leur remettre Kal, mon troisième constant – vous vous souvenez, mon bel informateur, l’homme qui refusa au dernier moment de signer leur pacte… Une injonction inacceptable, comme vous pouvez vous en douter (autant inacceptable que leur accoutrement, leur langage et leur anonymat). Je leur ai donc opposé une fin de non-recevoir, ils se sont retirés en m’insultant, en me promettant des représailles éprouvantes, sanglantes.

Nous nous sommes dès lors tenus sur un qui-vive permanent qui nous a permis, grâce à un système d’alarme mis au point par Solan, de prévenir leur attaque. Ils ne s’attendaient certainement pas à tomber sur une trentaine d’hommes décidés, armés, une petite troupe manœuvrant à la perfection et possédant sur eux l’avantage de connaître le terrain. Ils ont engagé le combat mais pas très longtemps, car ils se sont rapidement aperçus qu’ils couraient vers une défaite totale, humiliante. Ils ont battu en retraite en abandonnant deux des leurs allongés dans la poussière, l’un tué d’un coup de dague de corne dans le cœur et l’autre blessé au ventre. De notre côté, nous n’avons à déplorer que des blessures bénignes, des éraflures, un doigt écrasé, une entaille profonde sur un genou de Solan. Mais le plus réconfortant, c’est que pas un de mes soldats ne m’a trahie, quand certaines de mes consœurs affirment que les couilles-à-masques ont infiltré l’ensemble des domaines. Tous ont combattu avec enthousiasme, conscients qu’ils ne défendaient pas seulement une mathelle ou un territoire, mais leur propre liberté, leur propre souveraineté. Et tous, le lendemain, avaient encore des étoiles dans les yeux. J’avoue que, gangrenée par la paranoïa d’autres mathelles, je nourrissais quelques soupçons sur Andemeur et sur Kal, le premier parce qu’il s’est aigri et fissuré dans ses certitudes, le second parce que son histoire ressemblait diablement à un stratagème mis en place par les couilles-à-masques. Mais leur bravoure, leur ardeur, leur dévotion m’ont apporté le plus cinglant, le plus éclatant des démentis. Si je sais comment me faire pardonner de Kal, j’ignore comment me rapprocher d’Andemeur. Je vous ai confié, me semble-t-il, qu’il avait reçu un coup de pied de yonk au bas-ventre et que, depuis, il était devenu indifférent aux choses du sexe. Mais je ne veux pas vous importuner avec des considérations qui vous sont étrangères, il me revient de trouver le moyen de prouver ma reconnaissance à mon fidèle constant, le père de mes deux premiers enfants et la pierre angulaire de mon mathelle.

Nous avons retiré leur masque aux deux protecteurs tombés sur le champ de bataille. Leur jeunesse m’a épouvantée : l’un, le mort, était encore un enfant de vingt ans, l’autre, le blessé, n’a probablement que cinq ou six ans de plus. Nous avons décidé d’épargner ce dernier, non par pure bonté d’âme – encore qu’il est certainement très éprouvant d’exécuter de sang-froid un adolescent désarmé – mais parce que la présence d’un otage (je n’aime pas ce mot mais je n’en ai pas d’autre à ma disposition…) pourrait revêtir une importance cruciale dans nos futures confrontations. Nous l’avons soigné et enfermé dans une pièce de la maison dont nous tenons la porte fermée à l’aide d’une barre de bois. Il nous toise avec dans les yeux une rage effrayante venue du fin fond de l’amaya. Il serait beau garçon, pourtant, sans cette expression fanatique qui transforme son visage en un masque aiguisé, blessant, encore plus rigide et effrayant que l’autre, celui taillé dans l’écorce. Il ne répond à aucune de nos questions, n’accepte aucune nourriture ni aucun gobelet d’eau. Nous comptons un peu sur la faim et la soif pour qu’il revienne à une attitude plus conciliante, à des sentiments plus humains. Quel pacte signent-ils donc, nos pauvres jeunes gens, pour être à ce point dévorés par la haine ?

Les sœurs séculières, qui passent d’habitude tous les quatre jours au domaine, espacent de plus en plus leurs visites. Quelques mathelles et moi-même envisageons de créer notre propre système de messagers pour correspondre avec les autres domaines et, si vous le souhaitez, avec le conventuel de Chaudeterre. La situation risque de se dégrader rapidement sur les plaines du Triangle, et nous devons à tout prix rompre notre isolement, rester en communication les unes avec les autres, offrir une opposition groupée, cohérente, aux protecteurs des sentiers.

J’ai eu l’occasion de vérifier à plusieurs reprises que les visions de ma fille Zephra nous proposaient des images fidèles de l’avenir. Fidèles, pas nécessairement figées : les chemins du présent ne sont jamais condamnés, et je vous assure, vénérée Qval, que nous devons réagir avec une extrême vigueur si nous ne voulons pas être balayées par les vents de l’oubli. Ma proposition tient toujours malgré les incertitudes que soulève un voyage à Chaudeterre : je serais très heureuse de vous rencontrer, de vous présenter Zephra, d’envisager avec vous les solutions qui permettraient de résoudre au mieux de nos intérêts cette première grande crise du nouveau monde.

Merilliam.
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