Читаем Orchéron полностью

Elle ne criait plus, ses exhalaisons prolongées s’achevaient en gémissements, en supplications. Il jeta un bref coup d’œil aux umbres avant de tirer son couteau de sa poche et de s’enfoncer à son tour dans le fouillis végétal. Les branches basses des ronciers s’agrippaient à ses bottes, à son pantalon, et enrayaient chacun de ses pas. Des épis desséchés se frottaient sur les manches de sa tunique dans une succession de froissements et de crépitements.

« Mael. »

Elle ne bougeait pratiquement plus, empêtrée dans les branches d’arbustes qui, plus loin, prenaient le relais des ronces et des herbes. Il continuait de se rapprocher, taillant dans la végétation à grands coups de botte, d’épaule et de couteau. Elle ne lui prêtait aucune attention, le visage levé vers le ciel, le corps perlé de sueur et de sang.

Orchéron perçut avec une netteté terrifiante la vague de froid qui descendait sur eux.

« Non ! »

Son cri se perdit dans le silence funèbre de la colline de l’Ellab. À l’emplacement où s’était tenue Mael une fraction de temps plus tôt ne restaient plus qu’un cercle noir et un sillage gris qui, déjà, se dispersait dans la lumière aveuglante du jour.

La nuit tombait quand Orchéron sortit enfin de sa prostration et se remit en chemin. Assis dans les ronces, le couteau en main, il avait d’abord projeté de mettre lui-même fin à ses jours puisque les umbres ne voulaient pas de lui. Puis, emporté par le cours de ses pensées, il s’était plongé dans cette enfance inconnue, étrangère, qui s’était achevée sur la colline de l’Ellab. Elle lui était revenue par bribes, par petites touches éparses qui ne suffisaient pas à recomposer l’intégralité du tableau mais qui, comme les solarines, jetaient des taches de lumière sur quelques zones de ténèbres. Elles avaient éclairé sa mère, Lilea, l’intendante du mathelle de Jasa, une femme jeune, jolie, vive mais sujette à de profondes crises de mélancolie qui la clouaient sur son lit pendant plusieurs jours. Elles avaient révélé des bouilles hilares ou inquiètes d’enfants, ses compagnons de bêtises et de jeux, le visage plus grave de Lena la djemale, sa première instructrice, les traits rudes de Forz, un constant de Jasa, un homme au regard libidineux et fourbe, les masques horribles des couilles-à-masques dans la semi-pénombre d’un silo. Elles avaient dévoilé des fragments d’existence, l’odeur et la chaleur de sa mère lorsqu’il se glissait dans son lit, le venin de la jalousie quand elle lui préférait un volage et lui fermait la porte de sa chambre, la frayeur soulevée par les passages des umbres, les petites peurs suscitées par les larcins de fruits dans les séchoirs des silos et par les jeux dangereux au-dessus des toits, les heures d’une nostalgie inexplicable, languide, si profonde qu’elle lui tirait des larmes. Elles avaient exhumé surtout ce besoin latent, fondamental, de découvrir l’ordre invisible de son monde, de mêler sa voix au chœur secret de son monde.

C’est là, dans cette aspiration intacte, dans ces braises couvant sous la cendre, qu’Orchéron avait puisé la force de repartir. Et aussi dans l’idée, dans la certitude que Mael avait choisi de se donner aux umbres plutôt que de se laisser empoisonner par ses souvenirs. Il n’avait plus rien à faire dans les domaines, ni même sur la plaine du Triangle. Puisque les hommes – les hommes et non les prédateurs volants – avaient fait le vide autour de lui, il partirait dans la direction de l’est, il passerait de l’autre côté des grandes eaux, il consacrerait son existence à l’exploration de son monde, à la recherche de cette trame invisible dont il pressentait la splendeur sous le voile terni des apparences.

Il percevait encore les vestiges du froid abandonnés par le passage des umbres. Ou bien étaient-ce les rafales mordantes de la bise ? Il frissonnait sous la laine pourtant épaisse de sa tunique. Les pierres roulaient sous ses pas, les herbes et les frondaisons bruissaient sur les bords du sentier comme des foules ivres de colère. Une chape nuageuse occultait les étoiles, la nuit se gorgeait de noirceur, d’amertume et de chagrin.

Un éclair éblouit la plaine, se désagrégea en répliques étincelantes, fulgurantes, qui précédèrent de peu un grondement prolongé. Les orages étaient rares sur le Triangle, mais d’une puissance dévastatrice.

Orchéron pressa le pas. L’air était déjà saturé d’humidité, et il lui fallait arriver au pied de l’Ellab avant les premières trombes. L’eau ruissellerait sur les pentes sèches, sur les rochers, transformerait le sentier en un torrent de boue. Il avait failli être emporté par un orage sur le versant d’une des collines, pourtant moins hautes que l’Ellab, qui bordaient le domaine d’Orchale. Traîné par une coulée de boue sur une distance de deux ou trois cents pas, il n’avait dû son salut qu’aux branches providentielles d’un jaule.

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