Читаем Orchéron полностью

Dominé par la souffrance, incapable de se contenir, il se releva, dégagea son couteau, déplia la lame et, donnant des coups rageurs et circulaires devant lui, s’avança vers les silhouettes brunes qui s’évanouissaient dans les herbes. Titubant, hurlant, il marcha et frappa sans savoir où le portaient ses pas, aveuglé par la fureur, harcelé par les insaisissables lames qui lui tailladaient les nerfs. Il crut se rendre compte que les errants s’étaient dispersés comme des balles de manne aux premiers vents et, dans les tréfonds de sa conscience, il en éprouva un immense soulagement. Il s’acharna sur les herbes et sur la terre jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent et qu’il s’affaisse de tout son long sur le sol en poussant un pitoyable gémissement.

Que s’était-il passé entre le moment où les couilles-à-masques se rassemblaient au pied de l’Ellab et celui où il avait repris connaissance sur la plaine ? La question surgissait sans cesse d’un recoin de sa mémoire. Il en retirait l’impression que du temps lui avait été dérobé, et que ce n’était pas la première fois. Il avait huit ans, peut-être neuf, lorsque les couilles-à-masques les avaient traînés, sa mère et lui, sur la colline de l’Ellab, onze environ lorsque Aïron l’avait recueilli sur le bord de la rivière Abondance. Il s’était donc passé deux ou trois ans dans l’intervalle, deux ou trois ans que sa mémoire semblait avoir purement et simplement escamotés comme la poignée de jours qui venaient de s’écouler à son insu.

Des frissonnements agitèrent les peaux cousues, liées à une armature de branches souples et entrecroisées. Ezlinn écarta les tentures de l’ouverture, s’introduisit dans l’abri et s’agenouilla près de lui. Elle revenait de la mare à en juger par ses cheveux mouillés et les auréoles d’humidité qui s’épanouissaient sur sa robe claire. La lumière encore blême indiquait que le jour venait tout juste de se lever.

« On dirait que les amayas ont décidé de te laisser en paix, s’exclama-t-elle avec un sourire chaleureux.

— Jusqu’à la prochaine fois. »

Il se sentait encore faible, mais la douleur avait disparu, abandonnant d’imperceptibles frémissements qui couraient le long de ses membres. Il avait peu dormi, coincé une grande partie de la nuit au fond d’un puits de souffrance, prostré sur les peaux que les ventresecs, après l’avoir transporté dans l’abri, avaient étalées sous lui. Lorsqu’il s’était réveillé, il avait été étonné, très étonné, de découvrir son poignard de corne posé en évidence sur ses vêtements pliés à ses pieds.

« Je… je ne maîtrise plus mes réactions quand les crises se déclenchent, dit-il. C’aurait pu être très dangereux pour vous.

— Tu n’as blessé personne. Et puis nous connaissons très bien ce mal. Nous l’appelons le mal des plaines ou la malédiction des ventresecs.

— Moi qui croyais être le seul à…

— Nous ne pensions pas non plus qu’il pouvait toucher un permanent des mathelles. Ni quelqu’un d’aussi jeune. »

Elle pencha la tête sur le côté pour essorer ses cheveux mouillés. Orchéron revit Mael effectuer ce geste, gracieux entre tous, devant l’un des grands Ab de pierre du mathelle, et une vague de tristesse froide, amère, le recouvrit, qui se retira en le laissant au bord des larmes.

« Quel rapport avec la jeunesse ? demanda-t-il d’une voix sourde au bout d’un long moment de silence.

— Le mal des plaines touche les plus anciens. La première crise signifie que leur temps de vie est écoulé, qu’ils sont devenus un poids pour les clans, qu’ils doivent désormais s’effacer. Alors ils s’en vont et ne reviennent jamais.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas… effacé ?

— Ta vie ne nous appartient pas, pas davantage que celle des anciens ou des yonks. Ce n’est pas à nous de décider de l’heure de leur sacrifice. »

Orchéron examina l’intérieur de l’abri : de forme circulaire, il pouvait sans doute accueillir cinq ou six personnes, mais les ventresecs l’avaient réservé à son seul usage le temps de sa crise.

« Je suis un poids pour vous, murmura-t-il. Je vais partir. »

Il se redressa et repoussa la couverture de laine végétale étalée sur son corps. Ezlinn lui agrippa le poignet et, d’une pression continue, l’obligea à se rallonger.

« Tu n’es pas encore en état de partir.

— Et vos anciens ? Ils sont en état de partir, peut-être ?

— Ils connaissent le prix de l’errance, de la liberté, ils acceptent de le payer. S’ils ont eu une belle vie, ils n’ont pas de regrets.

— Qui te dit que je n’ai pas eu une belle vie moi aussi ? »

Elle plissa les yeux et le fixa avec cette attention lointaine qui semblait la projeter au-delà des apparences.

« Tu es comme la plupart des permanents des mathelles, déclara-t-elle d’une voix songeuse. Tu n’as même pas commencé à vivre. »

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