Paul de Tarse était tombé d'un seul coup, sans articuler un mot. Son corps abattu s'est affaissé sur le sol comme une pauvre dépouille inutile. Son sang jaillissait sous le coup des dernières contractions de l'agonie rapide, tandis que l'expédition retournait pitoyable, muette, dans la lumière matinale et triomphante.
Le valeureux disciple de l'Évangile ressentit l'angoisse des dernières répercussions physiques, mais peu à peu, une douce sensation de soulagement réparateur s'installa. Des mains aimantes et empressées semblaient le toucher légèrement comme si elles arrachaient, rien qu'à ce contact divin, les terribles impressions de ses arrières souffrances. Encore sous le coup de la surprise, il remarqua qu'il était transporté en un lieu lointain et se dit que des amis généreux désiraient l'aider dans un endroit plus approprié pour qu'il puisse bénéficier de la douce consolation d'une mort tranquille. Après quelques minutes, les douleurs avaient complètement disparu. Gardant l'impression de se trouver à l'ombre de quelques arbres touffus et accueillants, il ressentit la caresse des brises matinales qui passaient en rafales fraîches. Il voulut se lever, ouvrir les yeux, identifier le paysage. Impossible ! Il se sentait faible, convalescent, comme s'il avait eu une longue maladie très grave. Il rassembla ses énergies mentales comme il le put, et se mit à prier demandant à Jésus d'éclairer son âme dans cette nouvelle situation. Mais c'était surtout, son incapacité à voir qui le plongeait dans une angoissante attente. Il se souvint de Damas quand la cécité avait envahi ses yeux de pécheur offusqués par la lumière glorieuse du Maître. L'affection fraternelle d'Ananie lui revint en mémoire et il se mit à pleurer à l'influx de ces singulières réminiscences. Après beaucoup d'efforts, il réussit à se lever et se dit que l'homme devait servir Dieu, même s'il tâtonnait dans de profondes ténèbres.
Ce fut là qu'il entendit des pas qui approchaient légèrement. Le jour inoubliable où il fut visité par l'émissaire du Christ dans la pension de Judas lui revint brusquement en mémoire.
Qui êtes-vous ? - a-t-il demandé comme il le fit autrefois en cette heure inoubliable.
Frère Paul... - lui dit celui qui venait d'arriver.
L'apôtre des gentils identifia immédiatement cette voix amicale et l'interrompit s'écriant avec une indicible joie :
Ananie !... Ananie !...
Et il tomba à genoux en sanglots.
Oui, c'est moi - a dit la vénérable entité mettant sa main lumineuse sur son front -, un jour Jésus m'a ordonné de te rendre la vision pour que tu puisses connaître l'âpre chemin de ses disciples et aujourd'hui, Paul, il m'a accordé le bonheur de t'ouvrir les yeux à la contemplation de la vie éternelle. Lève-toi ! Tu as déjà vaincu les derniers ennemis, tu as atteint la couronne de la vie, tu as atteint de nouveaux plans de Rédemption !...
Le visage noyé de larmes jubilantes de gratitude, l'apôtre s'est levé, tandis qu'Ananie posait sa dextre sur ses yeux éteints, s'exclamant avec tendresse :
Vois à nouveau, au nom de Jésus !... Depuis la révélation de Damas, tu as consacré tes yeux au service du Christ ! Contemple maintenant les beautés de la vie éternelle pour que nous puissions partir à la rencontre du Maître aimé !...
Alors le dévoué travailleur de l'Évangile a découvert les merveilles que Dieu réserve à ses coopérateurs dans le monde rempli d'ombres. Pris d'étonnement, il a reconnu le paysage qui l'entourait. Non loin se trouvaient les catacombes de la voie Appienne. De mystérieuses forces s'étaient éloignées du triste tableau où se décomposaient ses restes sanglants. Il se sentit jeune et heureux. Il comprenait, maintenant, la grandeur du corps spirituel dans l'étrange environnement des organismes sur terre. Ses mains étaient sans rides, sa peau sans cicatrices. Il avait l'impression d'avoir absorbé un mystérieux élixir de jeunesse. Une tunique de blancheur resplendissante l'enveloppait dans de gracieuses ondulations. Il se réveillait à peine de son éblouissement que quelqu'un lui a tapoté légèrement sur l'épaule : c'était Gamaliel qui lui apportait un baiser fraternel. Paul de Tarse se sentit le plus heureux des êtres. En étreignant son vieux maître et Ananie, d'un seul geste de tendresse, il s'exclama entre les larmes :
Seul Jésus pouvait m'accorder une telle joie.