Très jovial, Saûl a raconté à son ami qu'effectivement il était tombé amoureux d'une jeune fille de sa race qui alliait les dons d'une rare beauté aux trésors les plus sublimes du cœur. Son culte au foyer était l'un de ses attributs féminins les plus ineffables. Il lui a raconté leur première rencontre. Cela s'était passé en compagnie d'Alexandre et de Gamaliel, il y avait environ trois mois, lors d'une fête que Zacarias ben Hanan, un agriculteur prospère sur la route de Joppé, avait offerte à quelques amis bien placés, en l'honneur de la circoncision des fils de ses serviteurs. Il ajouta que l'hôte était un ancien commerçant Israélite émigré de Corinthe après de longues années de travail en Achaïe, mécontent des persécutions dont il avait souffert. Après de nombreuses épreuves survenues lors du voyage entre Cenchrées et Césarée, Zacarias était arrivé dans ce port dans de très mauvaises conditions financières, mais il avait été aidé par un patricien romain qui lui avait donné les moyens de louer une grande propriété sur la route de Joppé, à une certaine distance de Jérusalem. Accueilli généreusement chez lui maintenant qu'il était prospère et heureux, Saûl avait rencontré la jeune Abigail au tendre cœur, dotée des plus beaux attributs moraux que pouvait révéler une jeune fille de sa race. En fait, elle représentait à ses yeux son idéal de femme. Intelligente, elle connaissait bien la
Et tu as déjà parlé de ces projets à tes parents ? - a demandé Sadoc.
Ma sœur doit aller à Tarse dans les deux prochains mois et elle se fera l'interprète de mes vœux, concernant l'organisation de mon avenir. D'ailleurs, tu sais, cela ne peut, ni ne doit être résolu de façon précipitée. Je pense qu'un homme ne peut se livrer sans réflexion à une question dont relève sa destinée. Obéissant à notre vieil instinct de prudence, j'analyse posément mes propres idéaux et je n'ai pas encore amené Abigail à connaître Dalila ; ce n'est qu'à la veille de la visite de ma sœur au foyer paternel que je prétends le faire.
Puisque tu berces tant de projets pour l'avenir -ajouta son ami avec intérêt -, comment vont tes prétentions au Sanhédrin ?
Je ne peux me plaindre puisque le tribunal me confère actuellement des attributions très spéciales. Tu sais que depuis longtemps Gamaliel incite mon père à accepter mon transfert pour Jérusalem où je serai promu à un poste important au sein de l'administration de notre peuple. Comme nous le savons, l'ancien maître est âgé et désire se retirer de la vie publique. Je ne tarderai pas à le remplacer dans ses plus hautes fonctions, en plus de gagner une très bonne rémunération actuellement, indépendamment de ce qui me vient de Tarse périodiquement. J'ai, avant tout, l'ambition politique d'augmenter mon prestige auprès des rabbins. Il ne faut pas oublier que Rome est puissante et qu'Athènes est sage, rendant nécessaire l'éveil à l'éternelle hégémonie de Jérusalem comme tabernacle du Dieu unique. Nous devons donc faire plier les Grecs et les Romains devant la
Cependant, Sadoc laissait percevoir qu'il ne prêtait pas grande attention à son idéalisme nationaliste et gardait sa pensée tournée sur sa situation personnelle, insinuant délicatement.
D'après ce que tu me dis, je suis soulagé d'apprendre que progressivement ton père améliore sa situation financière. Quand on pense que c'était un humble tisserand...
Pour cela même, peut-être - réagit Saûl -, il m'a enseigné la profession dans mon enfance pour que je n'oublie jamais que le progrès d'un homme dépend de ses propres efforts. Aujourd'hui, néanmoins, après tant de peines sur son métier à tisser, c'est justement et honorablement qu'il se repose auprès de ma mère, à l'heure de la vieillesse venue. Ses caravanes et ses chameaux parcourent toute la Cilicie et le transport de marchandises leur garantit une augmentation de revenu chaque fois plus importante.
Leur entretien s'est poursuivi animé et arrivé un moment le jeune homme de Tarse a demandé à son ami les raisons qui l'amenaient à Jérusalem.
Je suis venu m'assurer de la guérison de mon oncle Philodème qui a été soigné d'une vieille cécité par un processus assez mystérieux.
Et, comme s'il avait l'esprit rempli d'interrogations de toutes sortes sans réponse conforme à ses propres connaissances, il a ajouté :
Tu as déjà entendu parler des hommes du « Chemin » ?