En ce jour qui fut marqué par la visite aux autorités les plus en vue dans l'intention de les gagner à. sa cause, d'autres faits surprenants sont venus aggraver les préoccupations qui l'assaillaient. Osée Marc et Samuel Natan, deux compatriotes très riches de Jérusalem, après avoir entendu la défense d'Etienne au Sanhédrin, impressionnés par l'éloquence et la justesse des concepts de l'orateur, distribuèrent à leurs enfants la partie de l'héritage revenant à chacun, et donnèrent au « Chemin » le reste de leurs biens. Pour cela, ils étaient allés voir Simon Pierre et avaient baisé ses mains endurcies par le travail après avoir écouté sa parole concernant Jésus-Christ.
La nouvelle se répandît dans les cercles pharisiens prenant la tournure d'un vrai scandale.
Le lendemain, face à l'agitation générale, Saûl de Tarse prit connaissance des événements que l'attitude d'Etienne avait provoqués. La défection des deux coreligionnaires se ralliant aux Galiléens lui causa un profond sentiment de révolte. On disait aussi qu'Osée et Samuel, en livrant au
« Chemin » la totalité de leurs biens, avaient déclaré en larmes qu'ils acceptaient le Christ comme le Messie promis. Les commentaires de ses amis à ce sujet l'incitaient aux plus fortes représailles. Désigné par les capricieux courants populaires comme le plus jeune défenseur de la Loi, il se sentait de plus en plus obligé de révéler son ascendant à cette charge qu'il considérait sacrée. Pour défendre son mandat, donc, il mépriserait toutes les considérations qui viendraient contredire son rigorisme où il présumait voir un devoir divin.
Face à la gravité des derniers incidents qui menaçaient la stabilité du judaïsme au sein même de ses éléments les plus éminents, il alla à nouveau voir les autorités suprêmes du Sanhédrin afin d'accélérer les répressions à venir.
Attentif à l'autorisation accordée par les plus hauts pouvoirs politiques de la province, Caifas proposa la nomination du vaillant docteur de Tarse comme chef et instigateur de toutes les mesures prises indispensables à la bonne garde et à la défense de la Loi. Il lui appartenait donc de mettre en oeuvre tous les recours qu'il jugeait nécessaires et utiles, réservant au Sanhédrin les ultimes décisions suprêmes, d'une nature plus grave.
Satisfait par le résultat de la réunion qu'il avait improvisée, le jeune tarsien fit remarquer avant de quitter ses amis :
Aujourd'hui même, je réquisitionnerai un corps de troupe qui couvrira le périmètre de la ville. Demain, j'ordonnerai la détention de Samuel et d'Osée, jusqu'à ce qu'ils se décident à retrouver la raison et, à la fin de la semaine, je m'occuperai de faire capturer la populace du « Chemin ».
Tu ne craindras pas les sortilèges, par hasard ? - a demandé Alexandre avec ironie.
Absolument pas - a-t-il répondu grave et décidé. -Sachant de ouï-dire que les militaires eux-mêmes commencent à être superstitieux sous l'influence des idées extravagantes de ces gens, je commanderai en personne l'expédition, car je prévois de jeter le dit Simon Pierre en prison.
Simon Pierre ? - a demandé l'un d'eux admiratif.
Pourquoi pas ?
Connais-tu la raison de l'absence de Gamaliel à notre rencontre d'aujourd'hui ? - lui dit l'autre.
Non.
Il se trouve qu'à l'invitation de ce même Simon, il est allé voir les installations et les activités du « Chemin ». Tu ne trouves pas tout cela extrêmement curieux ? D'une manière générale, nous avons l'impression que l'humble chef de la Galilée en désapprouvant l'attitude d'Etienne devant le Sanhédrin, désire corriger la situation, et cherche à se rapprocher de notre autorité administrative. Qui sait ? Peut-être que tout cela est bien utile. Tout au moins, il est bien possible que nous allions vers une nécessaire harmonisation.
Saûl en fut plus que surpris, il était atterré.
Mais qu'est-ce que vous me racontez là ? Gamaliel rend visite au « Chemin » ? J'en arrive à douter de son intégrité mentale.
Mais nous savons - est intervenu Alexandre - que le maître a toujours marqué ses actes et ses pensées de la plus grande correction. Serait-il juste de réfuter une telle invitation par considération pour nous autres ; néanmoins, s'il ne l'a pas fait, il ne faut pas négliger lu décision prise en conformité avec la noblesse de vues qui l'a toujours inspiré.
D'accord - dit Saûl quelque peu contrarié -cependant, malgré l'amitié et la gratitude que Je lui consacre, pas même Gamaliel pourra changer mes résolutions. Il est possible que
Simon Pierre se justifie en sortant indemne des épreuves auxquelles il sera soumis ; mais quoi qu'il en soit, il devra être conduit en prison pour les interrogatoires qui s'imposent. Je me méfie de son évidente humilité. Pour quelles raisons laisserait-il ses filets de pêcheur pour s'afficher en bienfaiteur des pauvres de Jérusalem ? Je vois en tout cela une volonté de séduction bien dissimulée. Les plus humbles et les plus ignorants vont au devant de graves dangers. Les maîtres de la destruction viendront ensuite.