Samonas, toi ici ? - a interrogé Gamaliel éberlué. -Mais comment est-ce possible, tu as abandonné Césarée ?
Ah ! C'est vous Seigneur ! - a répondu l'interpellé avec une larme au coin des yeux. -
Encore heureux qu'un de mes compatriotes et amis connaît ma grande misère.
Des sanglots saisirent sa voix l'empêchant de continuer.
Mais tes enfants ? Et tes parents ? Qui détient tes propriétés de Samarie ? - demanda le vieux maître perplexe. - Ne pleure pas, Dieu a toujours beaucoup à nous donner.
Après une longue pause pendant laquelle Samonas a semblé coordonner ses idées pour s'expliquer, il réussit à sécher ses larmes et lui dit :
Ah ! Seigneur, comme Job, j'ai vu mon corps pourrir dans le confort de ma maison ; Jéhovah dans sa sagesse me réservait de longues épreuves. Dénoncé comme lépreux, j'ai en vain demandé l'aide des enfants que le Créateur m'avait accordés dans ma jeunesse. Tous m'ont abandonné. Mes parents ont rapidement disparu me laissant seul. Les amis qui s'asseyaient à ma table à Césarée, ont fui sans que je puisse les voir. Je me suis retrouvé seul et abandonné. Un jour au suprême désespoir de mon malheur, des exécuteurs de la justice sont venus me voir pour m'informer de la sentence cruelle. Conseillés par l'iniquité, mes enfants s'étaient arrangés entre eux pour me destituer de tous mes biens, prenant possession de mes propriétés et des titres qui représentaient pour moi l'espoir d'une vieillesse honnête. Finalement et au comble de mes souffrances, ils m'ont conduit à la vallée des immondes où ils m'ont abandonné comme un criminel condamné à mort. J'ai ressenti un tel abandon et une si grande faim, de tels besoins, peut-être en raison de ma vie passée au travail et dans le confort, que j'ai fui la vallée des lépreux, faisant un long voyage à pied dans l'espoir de retrouver à Jérusalem mes précieuses amitiés d'autrefois.
À entendre sa pénible histoire, le vieux maître avait les yeux humides. Il avait connu Samonas en des jours plus heureux de sa vie. Honoré dans sa résidence, de passage par Césarée, il s'étonnait maintenant de sa pauvreté angoissante.
Après un court silence pendant lequel le malade cherchait à sécher sa sueur et ses larmes, d'une voix posée, il a continué :
J'ai fait le voyage, mais tout a conspiré contre moi. Très vite mes pieds ulcérés ne pouvaient plus marcher. Fatigué et assoiffé, je me traînais comme je pouvais quand un humble charretier, apitoyé, m'a ramassé et m'a conduit à cette maison où la douleur trouve une consolation fraternelle.
Gamaliel ne savait pas comment extérioriser sa surprise, telle était l'émotion qui vibrait en lui. Pierre aussi était ému. Habitué à pratiquer le bien sans jamais questionner les antécédents des personnes secourues, il voyait là une révélation réconfortante de l'aimant pouvoir du Christ.
Le grand rabbin était stupéfait devant ce qu'il voyait et entendait. Avec la sincérité qui lui était caractéristique, il ne pouvait dissimuler son amitié reconnaissante au pauvre malade ; mais, sans moyens pour le retirer de ce pauvre abri, il se voyait dans l'obligation de manifester sa reconnaissance à Simon Pierre et aux autres compagnons de l'ex-pêcheur de Capharnaum. Ce n'est qu'à cet instant qu'il reconnut que le judaïsme n'avait pas imaginé l'existence de ces refuges d'amour. En trouvant là cet ami lépreux, il aurait sincèrement désiré le soutenir. Mais comment ? Pour la première fois, il a réfléchi à la pénible éventualité d'envoyer un être aimé à la vallée des immondes. Lui qui avait conseillé ce recours à tant de gens, était là réfléchissant maintenant à la situation d'un ami cher. Cet épisode le touchait profondément.
Cherchant à éviter tous raisonnements philosophiques afin de ne pas tomber dans des conclusions hâtives, il dit avec douceur :
Oui, tu as raison de remercier l'effort de tes bienfaiteurs.
Et la miséricorde du Christ - souligna le malade avec une larme. - Je crois maintenant que le généreux prophète de Nazareth, avec le témoignage de l'amour qu'il nous a apporté, est le Messie promis.
Le grand docteur comprit le succès de la nouvelle doctrine. Ce Jésus inconnu, ignoré de la société la plus cultivée de Jérusalem, triomphait dans le cœur des malheureux par la contribution de l'amour désintéressé qu'il avait apporté aux plus déshérités de la chance. En même temps, il avait conscience de la discrétion qui s'imposait dans cet humble environnement, attentif aux responsabilités de sa vie publique. Pour poursuivre la conversation et témoigner son altruisme et sa compassion, il dit avec un sourire :
Il semblerait que Jésus de Nazareth, en fait, ait été un modèle de renoncement au profit d'idées que je n'ai pu étudier ou comprendre jusqu'à présent ; mais de là à le considérer comme le Messie en personne...