Lui qui expirait presque, chuchotait :
La mort ne sépare pas... ceux qui s'aiment...
Et comme s'il se rappelait quelque chose de très cher à son cœur, il a ouvert grand ses yeux et dans une expression d'une immense joie :
Comme dans le Psaume... de David,.. - dit-il balbutiant - nous pouvons... dire... que l'amour... et la miséricorde... nous ont suivis... tous les jours... de notre vie...10
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Psaume 23 de David.La jeune fille écoutait ses derniers mots extrêmement émue. Elle essuyait la sueur sanglante de son visage qui était illuminé d'une sérénité supérieure.
Abigail... - murmura-t-il encore comme dans un souffle -, je m'en vais en paix... Je voudrais que tu dises la prière... des affligés et des agonisants...
Elle s'est souvenue des derniers instants de supplice de leur père, en ce jour inoubliable de leur séparation dans la prison de Corinthe. D'un seul coup, elle a compris qu'à cet instant d'autres forces se trouvaient en jeu. Il ne s'agissait plus de Licinius Minucius et de ses cruels partisans, mais de son fiancé transformé en bourreau par une terrible erreur. Elle a caressé avec plus d'affection encore sa tête sanglante et serra contre elle le mourant comme s'il s'agissait d'un enfant adorable. Alors, bien que rigide et inflexible en apparence, Saûl de Tarse a observé, plus clairement, le tableau qui jamais plus ne lui sortirait de l'esprit. Tenant le mourant fraternellement enlacé, la jeune femme a levé les yeux au ciel d'où coulaient des larmes poignantes. Elle ne chantait pas, mais la prière sortait de ses lèvres comme une supplique naturelle de son esprit à un père aimant qui restait invisible :
Seigneur Dieu, père de ceux qui pleurent,
Des tristes et des opprimés,
Force des vaincus,
Consolation à toutes les douleurs,
Malgré la misère
Les pleurs de nos erreurs,
En ce monde d'exil
Nous clamons votre amour !
Sur le chemin des afflictions, Dans la nuit la plus tourmentée, Votre source généreuse Est un bien qui ne peut cesser... Vous êtes en tout la lumière éternelle De la joie et de la sérénité. Notre porte d'espoir Qui ne se fermera jamais.
Quand tout nous abandonne En ce monde d'iniquité Quand vient la tempête
Sur les fleurs de
Le jour de notre mort,
Dans l'abandon ou dans la tourmente,
Apporte-nous l'oubli
De l'ombre,
Pour que dans les derniers instants,
Nous sentions la lumière de la vie
Rénovée etpardonnée
Dans la paix heureuse et immortelle.
Une fois sa prière terminée, Abigail était en larmes. Sous la douce caresse de ses mains, Jeziel s'était apaisé. La pâleur de son visage était cadavérique, alliée à une profonde sérénité physionomique. Saûl a compris qu'il était mort. Et pendant que la jeune fille de Corinthe se levait, doucement, comme si le cadavre de son frère demandait toute la tendresse de son être aimant, le jeune tarsien s'est approché les sourcils froncés et a dit avec austérité :
Abigail, tout est consommé et tout est fini, entre nous aussi.
La pauvre créature s'est retournée avec étonnement. Alors les coups reçus ne lui suffisaient pas ? Serait-ce possible que son fiancé aimé n'ait pas une parole de conciliation généreuse en cette heure difficile de sa vie? Devait-elle recevoir l'humiliation la plus glacée avec la mort de Jeziel et supporter en plus l'abandon ? Consternée par tout ce qu'elle était venue trouver à Jérusalem, elle comprit qu'elle devait rassembler ses forces pour ne pas tomber face aux dures épreuves qui lui avaient été réservées. Et elle perçut alors que l'orgueil de Saûl serait sans consolation. À cet instant, elle en est arrivée aux conclusions les plus lucides quant au rôle qu'elle avait à jouer dans des circonstances aussi embarrassantes. Sans faire appel à sa sensibilité féminine, elle prit le dessus et dit avec dignité et noblesse :
Tout est fini entre nous, pourquoi ? La souffrance ne devrait pas effacer l'amour
sincère.
Tu ne me comprends pas ? - a répliqué le jeune homme avec fierté... - Notre union est devenue impossible. Je ne pourrai épouser la sœur d'un ennemi à la mémoire maudite. J'ai été malheureux en choisissant cette occasion pour ta venue à Jérusalem. Je me sens honteux, non seulement devant la femme avec qui jamais plus je ne pourrai m'unir par le mariage, comme devant mes parents et mes amis, par la situation amère que les circonstances ont placée sur mon chemin...
Abigail était pâle et cruellement surprise.