En fin de compte - s'exclama Saûl très inquiet -, qui était ce vieillard qui avait réussi à fasciner Abigail, à tel point qu'elle avait embrassé les doctrines étranges du Nazaréen ?
Bon - répondit l'autre sans grand intérêt -, c'est un de ces ermites misérables qui se livrent d'ordinaire à de longues méditations dans le désert. Veillant au patrimoine spirituel de l'enfant que Dieu m'avait confiée, j'ai cherché à connaître son origine et les activités qu'il avait dans la vie, je finis par apprendre qu'il s'agissait d'un homme honnête, bien qu'extrêmement pauvre.
Quoi qu'il en soit - objecta le jeune homme avec austérité -, je n'ai pas encore pu comprendre les raisons de ta tolérance. Comment ne t'es-tu pas révolté contre l'innovateur? J'ai l'impression que les idées tristes et absurdes des adeptes du « Chemin » ont contribué, de manière décisive, à la maladie qui a tué notre pauvre Abigail.
J'ai réfléchi à tout cela, niais l'attitude mentale de notre chère défunte était empreinte d'une si grande consolation après son contact avec cet anachorète honnête et humble. Ananie l'a toujours traitée avec un profond respect, la recevait toujours avec joie, n'a exigé aucune récompense, et il procédait de la sorte avec les serviteurs eux-mêmes, révélant une bonté sans limite. Était-il permis de réfuter, de mépriser de tels bienfaits ? Il est vrai que dans le cadre de ma compréhension, je ne pourrai accepter d'autres idées que celles qui nous ont été enseignées par nos généreux et respectables grands-pères ; mais je ne me suis pas jugé en droit de soustraire aux autres l'objet de leurs consolations les plus précieuses. Ton absence, de plus, m'a mis dans une situation difficile. Abigail faisait de toi le centre de tous ses intérêts affectifs. Sans comprendre les raisons qui t'avaient amené à disparaître de notre maison, je compatissais de son amertume intime qui se traduisait en une tristesse inaltérable. La pauvre enfant ne réussissait pas à cacher ses peines à nos yeux aimants. Trouver un remède était providentiel. Depuis l'intervention d'Ananie, Abigail était transformée, elle semblait convertir toutes ses angoisses en l'espoir d'une vie meilleure. Bien que malade, elle recevait les mendiants qui venaient lui parler de ce Jésus que je n'arrive pas à comprendre non plus. C'étaient des amis du voisinage, des gens simples, avec qui elle semblait se réjouir. Observant le mal irrémédiable qui la consommait, Ruth et moi accompagnions tout cela avec tendresse. Comment ne pas procéder de la sorte puisque la paix spirituelle de notre chère fille était en jeu dans les derniers jours de sa vie ? Il est possible que tu ne réussisses pas encore à comprendre le sens de ma conduite, dans ce cas, mais en toute conscience je suis disculpé, car je sais que j'ai accompli mon devoir en ne lui retirant pas les remèdes qu'elle jugeait nécessaires à sa consolation.
Saûl l'écoutait accablé. La sérénité et la pondération de Zacarias l'empêchaient d'évoquer de plus grands reproches et plus de sévérité. Les accusations voilées concernant son éloignement de sa fiancée, sans raison justifiée, pénétraient son cœur affligé de sentiments piqués de remords poignants.
Oui - a-t-il répondu moins durement -, je peux mieux comprendre les raisons qui t'ont induit à supporter tout cela, mais je ne veux pas, je ne peux pas et je ne dois pas m'exempter de l'engagement que j'ai assumé de venger la Loi.
Mais à quel engagement te rapportes-tu ? - a interrogé Zacarias surpris.
Je veux dire que je dois retrouver Ananie pour le punir comme il se doit.
Que dis-tu, Saûl ? - a objecté Zacarias péniblement impressionné. - Abigail vient à peine d'être ensevelie ; son esprit si sensible et si affectueux a profondément souffert pour des raisons que nous ignorons et que tu connais peut-être ; l'unique confort qu'elle ait trouvé a été, exactement, l'amitié paternelle de ce bon et honnête vieillard ; et tu veux le punir du bien qu'il nous
Mais c'est la défense de la Loi de Moïse qui est en jeu - a répondu le jeune tarsien avec fermeté.
Et pourtant - a averti Zacarias avec bon sens -, en relisant les textes sacrés, je n'ai pas trouvé de disposition qui autorise à punir les bienfaiteurs.
Le docteur de la Loi a esquissé un geste de contrariété en raison du juste commentaire, mais se prévalant de son herméneutique, il a considéré avec esprit :
Mais c'est une chose d'étudier la Loi et c'en est une autre de la défendre. Dans la tâche supérieure à laquelle je me trouve confronté, je suis obligé d'examiner si le bien ne cache pas le mal que nous condamnons. Là réside notre divergence. Je dois punir les écarts, comme tu as besoin d'élaguer les arbres de ton exploitation.
Il y eut un silence prolongé. Plongés dans de profonde méditation, séparés mentalement et intimement, ce fut Saûl qui reprit la parole en demandant :
Depuis quand Ananie a-t-il quitté les parages ?
Il y a plus de deux mois.
Et tu sais vers où il est parti ?