Cette nuit, une fois que tu as été parti, j'ai senti que quelqu'un s'approchait remplissant la chambre de lumière... C'était Jeziel qui venait me voir... À le voir, je me suis souvenue de Jésus dans l'ineffable mystère de sa résurrection. Il m'a annoncé que Dieu sanctifiait nos intentions de bonheur, mais que je serai emportée aujourd'hui même à la vie spirituelle. Il m'a enseignée à casser l'égoïsme de mon âme, m'a remplie d'entrain et m'a apporté la grande nouvelle que Jésus t'aime beaucoup, qu'il a en toi beaucoup d'espoirs !... Je me suis alors dit qu'il serait utile que je me livre joyeuse aux mains de la mort, car si je restais au monde je dérangerais peut-être la mission que le Sauveur t'a destinée... Jeziel m'a affirmé que d'un plan plus élevé nous t'aiderions ! Pourquoi, alors, cesserais-je d'être ta compagne?... Je suivrai tes pas sur ton chemin, je te mènerai là où se trouvent nos frères du monde, dans l'abandon, j'aiderai tes raisonnements à toujours découvrir la vérité !... Tu n'as pas encore accepté l'Évangile, mais Jésus est bon et il trouvera le moyen d'unir nos pensées dans la vraie compréhension !...
L'effort de la mourante avait été immense. Sa voix s'éteignait dans sa gorge. De ses yeux, profondément lucides, des larmes coulaient, abondantes.
Abigail ! Abigail ! - cria Saûl désespéré.
Mais après de longues minutes d'une angoissante attente, elle dit dans un arrachement suprême :
Jeziel est venu... me chercher...
Instinctivement, Saûl a compris que le moment fatal était venu. En vain, il a appelé la mourante dont les yeux s'obscurcissaient ; en vain il a baisé ses mains glacées, maintenant couvertes d'une pâleur de neige translucide. Comme fou, il a appelé Zacarias et Ruth en criant. Celle-ci, en sanglots, a étreint Abigail qui, depuis le décès de son fils, représentait tout son trésor maternel.
Respectivement, comme pour leur donner un aimant remerciement, l'agonisante a fixé son regard sur chacun d'eux. Puis... une seule larme calme fut son dernier adieu.
Du jardin tout proche montaient de doux parfums ; le ciel crépusculaire s'était teinté de nuages dorés tandis que les oiseaux, qui étaient sur le point de regagner leur nid, croisaient les airs joyeusement...
Une lourde tristesse s'est abattue sur la demeure de la route de Joppé. Elle s'était envolée au ciel la chère enfant, la fiancée aimée, l'amie caressante des fleurs et des oiseaux.
Saûl de Tarse était resté là muet, atterré tandis que Ruth, en larmes, couvrait de rosés la défunte adorée qui semblait dormir.
SUR LA ROUTE DE DAMAS
Pendant trois jours, Saûl est resté en compagnie de ses généreux amis, se rappelant sa fiancée inoubliable. Profondément abattu, il cherchait un remède à ses peines dans la contemplation du paysage qu'Abigail avait tant aimé. Comme triste consolation à son cœur désespéré, il voulait connaître les préoccupations de la défunte pendant ses derniers mois et, les yeux larmoyants, il écoutait les informations pleines d'affection faites par Ruth se rapportant à la chère défunte. Il s'accusait de ne pas être arrivé plus tôt pour la ravir à sa pénible maladie. Des pensées amères le tourmentaient, il était pris d'un angoissant repentir. Au fond, la rigidité de ses passions avait annihilé toutes ses chances de bonheur. Etienne avait trouvé un terrible supplice dans la fermeté de sa persécution implacable ; l'orgueil inflexible de son cœur avait jeté sa fiancée dans les antres impénétrables de la tombe. Mais il ne pouvait oublier qu'il devait toutes ces douloureuses coïncidences à ce Christ crucifié qu'il ne pouvait comprendre. Pourquoi se retrouvait-il toujours face à l'humble charpentier de Nazareth que son esprit volontaire détestait ? Depuis la première controverse dans l'église du « Chemin », jamais plus il n'avait passé un jour sans le deviner sous les traits de quelques passants, dans l'admonestation de ses amis, dans la documentation officielle de ses diligences punitives, dans la bouche des misérables prisonniers. Etienne avait expiré en parlant de lui avec amour et avec joie ; Abigail dans ses derniers instants se consolait à se le rappeler et il l'exhortait à le suivre. Partout toutes ces considérations s'endiguaient dans son esprit éreinté, Saûl de Tarse avait galvanisé toute sa haine au Messie raillé. Maintenant qu'il se retrouvait seul, entièrement dépourvu de soucis personnels de nature affective, il chercherait à concentrer ses efforts sur la punition et la correction de tous ceux qui transgresseraient la Loi. Se jugeant affecté par la diffusion de l'Évangile, il renouvellerait les procédures de persécution infamante. Sans espoirs, sans nouveaux idéals, dès lors qu'il ne pourrait plus constituer un foyer, il se livrerait corps et âme à la défense de la Loi de Moïse, préservant la foi et la tranquillité de ses compatriotes.
À la veille de son retour à Jérusalem, nous allons retrouver le jeune docteur à converser en privé avec Zacarias qui cherchait à l'écouter attentivement.