Saûl, à quoi bon se désespérer ? Ne vaudrait-il pas mieux nous incliner avec patience devant les desseins sacrés ? Ne nourrissons pas de doutes préjudiciables. Ce lit est fait de méditation et de foi, le sang, à plusieurs reprises, m'a déjà étouffée me prédisant la fin. Mais nous croyons en Dieu et nous savons que cette fin n'est que corporelle. Notre âme ne mourra pas, nous nous aimerons éternellement...
Je ne suis pas d'accord - répondit-il extrêmement affligé -, ces présomptions sont le fruit d'enseignements absurdes, comme ceux de ce fanatique nazaréen qui est mort sur la croix entre l'humiliation et la lâcheté. Jamais tu n'as été aussi mélancolique et découragée ; seules les sorcelleries des Galiléens pouvaient te convaincre de telles absurdités funestes. Mais, cherche à raisonner par toi-même ! Que t'a donné le crucifié si ce n'est la tristesse et la désolation ?
Tu te trompes, Saûl ! Je ne me sens pas abattue, bien que convaincue de l'impossibilité de mon bonheur sur terre. Jésus n'a pas été un maître vulgaire de sortilèges, il a été le Messie qui a répandu la consolation et la vie. Son influence a renouvelé mes forces, m'a remplie d'enthousiasme et d'une vraie compréhension des concepts suprêmes. Son Évangile de pardon et d'amour est le trésor divin des malades et des démunis en ce monde.
Le jeune homme n'arrivait pas à dissimuler l'irritation qui envahissait son âme.
Toujours le même refrain - a-t-il dit confus -invariablement, l'affirmation d'être venu pour les malheureux, les malades et les déshérités. Mais, les tribus d'Israël ne se composent pas seulement de créatures de cette espèce. Et les hommes valeureux du peuple élu? Et les familles de traditions respectables ? Seraient-ils privés de l'influence du Sauveur ?
J'ai lu les enseignements de Jésus - a répondu la jeune femme avec fermeté - et je pense comprendre tes objections. Le Christ, en accomplissant la parole sacrée des prophètes, nous révèle que la vie est un ensemble de nobles afflictions de l'âme afin que nous allions vers Dieu par les droits chemins. Nous ne pouvons concevoir le
Créateur comme un juge oisif et lointain, mais comme un Père voué aux bienfaits de ses enfants. Les hommes valeureux à qui tu fais référence, les exemptés des maladies et des souffrances, en possession de bénédictions réelles de Dieu, devraient être des enfants vaillants, soucieux d'accomplir la tâche qu'ils ont été appelés à mener à bien, au profit du bonheur de leurs frères. Mais dans le monde, contre nos tendances supérieures, l'ennemi s'installe dans notre propre cœur. L'égoïsme attaque la santé, la jalousie nuit au mandat divin, comme la rouille et la teigne abîment nos vêtements et nos objets quand nous les négligeons. Ils sont rares ceux qui se rappellent de la protection divine dans les jours joyeux de l'abondance, tout comme rares sont ceux qui travaillent ignorant l'aiguillon. Cela démontre que le Christ est un guide pour tous, il est une consolation pour ceux qui pleurent et une orientation pour les âmes éclairées appelées par Dieu à contribuer aux intérêts sacrés du bien.
Saûl était impressionné par cette clarté de raisonnement. Mais la conversation exigeait de la patiente de plus grands efforts et augmentait d'autant sa fatigue. Sa respiration était devenue difficile et le sang ne tarda pas à jaillir de sa poitrine dans une hémoptysie prolongée. Cette souffrance, marquée de tendresse et d'humilité, émouvait et exaspérait profondément son fiancé. Il comprit qu'il serait impitoyable d'attaquer dans de telles circonstances ce Jésus qu'il devait poursuivre jusqu'au bout. Il ne voulait pas croire que son Abigail était à la veille de mourir. Il préférait regarder l'avenir avec optimisme. Une fois rétablie, il la ferait revenir à ses anciens points de vue. Il ne tolérerait pas l'intromission du Christ dans le sanctuaire domestique. Dans son effort introspectif, néanmoins, il en conclut qu'il devait faire une trêve à ses pensées antagoniques pour cogiter des problèmes essentiels à sa propre tranquillité. Après la crise qui dura quelques longues et tristes minutes, la jeune patiente avait retrouvé ses grands yeux calmes et lucides. La contemplant dans cette douce attitude de suprême résignation, Saûl de Tarse ressentit de tendres commotions. Son tempérament impétueux se livrait facilement aux sentiments extrêmes. Les yeux larmoyants, il s'approcha davantage de sa fiancée bien-aimée. Il désira la caresser comme il l'aurait fait à un enfant.
Abigail - a-t-il murmuré tendrement -, ne parlons plus d'idées religieuses. Pardonne- moi! Rappelons-nous de notre florissant avenir, oublions tout pour consolider nos plus beaux espoirs.