Il prit son petit véhicule le cœur oppressé. Combien d'hésitations n'avait-il pas vaincues pour faire marche arrière, humiliant sa vanité d'homme conventionnel et inflexible ! La lumière crépusculaire remplissait la nature de reflets d'or fulgurant. Ce ciel si bleu, la végétation en friche, les brises bienfaisantes de l'après-midi étaient les mêmes. Il se sentait revivre. Des rêves et des espoirs aussi restaient intangibles. Et il réfléchissait à la meilleure manière de regagner le dévouement de l'élue de son cœur sans humilier sa vanité. Il lui raconterait son désespoir, lui parlerait de ses insomnies, de la continuité de l'immense amour qu'aucune circonstance n'avait pu détruire. Bien que restant ferme dans son intention d'omettre toute allusion faite au charpentier de Nazareth, il lui parlerait de ses remords de ne pas lui avoir tendu une main amie à l'instant où tous les espoirs de son âme féminine s'étaient effondrés, devant l'imprévisible et pénible décès de son frère dans des circonstances si amères. Il éclaircirait en détail ses sentiments. Il allait devoir faire référence au souvenir indélébile de sa prière angoissante et ardente alors qu'Etienne pénétrait au seuil de la mort. Il l'attirerait à son cœur qui ne l'avait jamais oubliée, baiserait ses cheveux, formulerait de nouveaux projets d'amour et de bonheur.
Plongé dans de telles pensées, il a atteint la porte d'entrée, remarquant en passant les rosiers en fleur.
Son cœur battait effréné quand Zacarias est apparu grandement surpris. Une longue accolade marqua leurs retrouvailles. Abigail fut l'objet de ses premières questions. Étrangement, il remarqua que brusquement Zacarias était devenu triste.
Je pensais que tes amis t'avaient déjà appris la triste nouvelle - a-t-il commencé à dire, tandis que le jeune homme l'écoutait anxieux. -, voilà plus de quatre mois qu'Abigail est tombée malade des poumons et, pour parler franchement, nous n'avons pas du tout d'espoir.
Saûl devint livide.
Peu après être revenue précipitamment de Jérusalem, elle est restée un peu plus d'un mois entre la vie et la mort. En vain nous nous sommes efforcés, Ruth et moi, de lui rendre sa vigueur et les couleurs de sa jeunesse. La pauvre petite s'est mise à maigrir et, peu de temps après, elle est restée alitée abattue. Pris d'angoisse, j'ai sollicité ta présence, afin de faire notre possible dans son intérêt, mais tu n'es pas apparu. Il me semblait qu'un nouvel environnement lui ferait du bien et lui rendrait sa santé, mais j'ai manqué de moyens pour des mesures plus appropriées comme cela s'imposait.
Mais, Abigail s'est-elle plainte à mon sujet ? - a demandé Saûl, affligé.
Absolument pas. D'ailleurs, son retour inattendu de Jérusalem, sa soudaine maladie et ton injustifiable éloignement de cette maison étaient pour nous une source de doutes et de craintes. Mais rapidement après une période de forte fièvre, elle allait mieux et nous tranquillisait à ton sujet. Elle nous a expliqué la raison de ton absence, a dit qu'elle avait été informée de tes nombreuses tâches et charges politiques ; elle s'est rapportée avec gratitude à l'accueil que tes parents lui avaient fait et quand Ruth, pour la consoler, qualifia ton attitude d'ingrate, Abigail a toujours été la première à te défendre.
Saûl voulut dire quelque chose alors que Zacarias marquait une pause, mais rien ne lui passa par la tête. L'émotion que lui causait la noblesse spirituelle de sa fiancée bien-aimée, paralysait ses idées.
Malgré tous ses efforts pour nous tranquilliser -continua le mari de Ruth -, nous avions l'impression que notre fille adoptive était dominée par des chagrins profonds qu'elle cherchait à nous cacher. Tant qu'elle pouvait marcher, elle visitait les pêchers, à la même heure qu'elle avait l'habitude de le faire avec toi. Au début, ma femme la surprenait à pleurer dans les ombres de la nuit ; mais ce fut en vain que nous avons cherché à connaître la cause de ses intimes souffrances. La seule raison qui se présentait était justement celle de la maladie qui commençait à miner son organisme. Plus tard, pendant une semaine un pauvre vieillard appelé Ananie est passé par ici. Il se produisit alors un phénomène étrange : Abigail l'avait rencontré chez nos locataires et, tous les après-midi, elle passait des heures de suite à l'écouter, manifestant dès lors une grande force spirituelle. À son départ, le pauvre mendiant lui a donné en guise de souvenir quelques parchemins avec les enseignements du célèbre charpentier de Nazareth...
Du charpentier ? - l'a coupé Saûl évidemment contrarié. - Et ensuite ?