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Sans doute le docteur Christianssen m’avait-il drogué à mon insu, le sérum de la vérité, le penthotal, je ne sais pas, mais parfois dans ma nuit aux volets soigneusement baissés je murmurais « je vous aime » et le murmure est peut-être ce qu’il y a de plus fort au monde.

Autour de moi, il y avait un tel silence que j’entendais presque quelque part ailleurs quelqu’un d’autre qui disait enfin autre chose.

Je me souviens comme si c’était vrai. Il m’arrivait même parfois de percevoir clairement dans le silence un premier mot qui n’était dit par personne et qui n’était pas corruptible car il n’était pas de chez nous. Je le sentais encore si nouveau-né et si faible qu’il y avait déjà espoir.

Mais c’était peut-être seulement mon caractère humain qui me jouait des tours de cochon.

Je me suis quand même remis à écrire, parce que c’était ça ou la chimiothérapie. Des injections de je ne sais quelle merde pour me normaliser.

J’écrivais quelques heures par jour, ne rentrant chez moi que pour ne pas me voir. On sort toujours pour écrire, en emportant son manger.

J’écrivais dans la peur : les mots ont des oreilles. Ils sont aux écoutes, et il y a du monde derrière. Ils vous entourent, vous cernent, vous prodiguent leurs faveurs et au moment où vous commencez à leur faire confiance, ciac ! Ils vous tombent dessus et vous voilà comme Tonton Macoute, à leur service. À plat ventre devant eux, caresseur et domestique, propagateur du pareil au même. J’ai déjà rencontré des mots de toute beauté qui ont mangé à de tels râteliers et touché, toute honte bue, de tels jetons de présence, que je dus subir la cure de Sakel, des injections de 50 cg de bromure d’acétylcholine et de folliculine, parce que je n’osais plus parler.

On trouve des empreintes digitales de Tonton Macoute sur tous les malheurs de l’homme. Il en a fait des succès littéraires.

Vous n’avez aucune idée de la difficulté de ma situation. Je pourrais, semblerait-il, ne rien écrire et ne rien publier, par refus du genre, mais ce serait là encore un poème, un aveu de secrète poésie. Il y aurait là romantisme, gesticulation, sensiblerie et aspiration, des attitudes et poses typiquement littéraires. Ne pas écrire, par principe et dignité, par objection de conscience, il n’y a pas plus livresque et plus bêlant-lyrique, comme mode d’expression et acte de foi.

J’avais éprouvé un immense soulagement à la parution de mon deuxième livre, en lisant sous les plumes les plus compétentes qu’Émile Ajar n’existait pas. J’avais découpé ces articles et je les ai collés sur les murs dont je suis entouré : quand j’ai des doutes, des soupçons, des apparences extérieures, respiratoires, des sueurs froides, angoisses et autres signes de vie qui réussissent parfois à faire illusion et à me tromper moi-même, je m’assieds dans mon fauteuil devant ces témoignages fraternels, j’allume une courte pipe bourrée de flegme anglais et je lis et relis ces certificats d’inexistence, qui auraient dû être affichés sur nos murs depuis des millénaires.

Lorsque mon premier manuscrit a été publié par trahison et subterfuge, alors que j’étais encore à la clinique de Cahors, j’ai protesté. J’étais sûr que c’était Tonton Macoute qui m’avait fait le coup, parce qu’il espérait que le livre allait se vendre et que je pourrais payer mes frais de clinique moi-même, et ensuite parce qu’il a toujours voulu que je devienne un collabo comme lui, au service des mots et payé par eux, car les mots rapportent.

Je me suis défendu. J’ai gueulé que j’écrivais uniquement pour avoir moins de problèmes avec moi-même et éviter la chimiothérapie. Mais, finalement, j’ai cru plus prudent de publier, pour ne pas être accusé d’idéalisme délirant et de tendances « messianiques et utopistes. » J’avais d’ailleurs pris la précaution de faire signer mon premier contrat par quelqu’un d’autre, afin de ne pas être repéré. Il y a des polices invisibles et omniprésentes qui vous sautent dessus au moindre signe d’existence et vous foutent le destin au cul. Tout cela me permettait en même temps de m’utiliser astucieusement pour filer à reculons dans la bonne direction : devenir un écrivain, ce que je ne voulais devenir à aucun prix, car c’était là mon plus cher désir. J’ai dû me branler à mort pour effectuer un transfert de culpabilité sur la masturbation, qui est officiellement reconnue comme une source de culpabilité de première bourre et constitue ainsi un excellent alibi.

Toute l’horreur de ma situation vient du fait que je suis frappé de lucidité. N’importe quel connard de psychiatre vous dira que la lucidité est un symptôme particulièrement fréquent chez les grands dépressionnaires.

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