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Dimanche dernier, je suis allé à Tolède chez don Miguel, qui ressemble à un de ces don Quichotte dont il a sculpté plus de cent cinquante mille fois le visage au cours de sa vie… Il venait de consulter sa voyante. Ses enfants et ses arrière-petits-enfants paraissaient catastrophés, mais don Miguel, assis sur une valise de cuir vert toute neuve qu’il venait d’acheter était ravi.

— Il paraît que je vais faire un grand voyage, m’expliqua-t-il…

C’était exactement le chapitre XV, où monsieur Salomon va consulter une voyante !

Je commençais d’ailleurs à être sérieusement épluché. Car il n’y a pas que la critique parisienne, laquelle a autre chose à faire qu’étudier sérieusement les textes : il y a aussi tous ceux qui ont le temps de lire et qui ne se bornent pas à patiner à la surface de l’actualité.

Un jour, je reçus une jeune et belle journaliste de Match, Laure Boulay. Il s’agissait de quelques photos et d’une interview, à propos de Clair de femme. Une fois l’entretien terminé, cette jeune et apparemment timide personne me démontra, en deux coups de cuiller à pot, que Romain Gary et Émile Ajar étaient une seule et même personne. Son analyse de textes fut aussi brève qu’implacable, à commencer par le refrain « Je m’attache très facilement » qu’elle avait repéré aussi bien dans Gros-Câlin que dans La Promesse de l’aube.

Et de continuer, tout tranquillement :

— La phrase de Madame Rosa, tant de fois citée par la critique : « Il n’est pas nécessaire d’avoir une raison pour avoir peur », vous l’avez déjà employée dans La Tête coupable, où Mathieu dit : « Et depuis quand un homme a-t-il besoin d’une raison pour avoir peur ? »

… Je me rappelai, du coup, que cette maudite phrase était prononcée aussi par le personnage joué par Jean-Pierre Kalfon, dans mon film Les Oiseaux vont mourir au Pérou.

Je ne bronchai pas. J’avais un système de défense tout prêt. Je l’avais déjà employé pour parer à la démonstration d’une jeune professeur de français, Geneviève Balmès, fille d’une amie de jeunesse, qui m’avait fait remarquer que les rapports de Momo avec Madame Rosa dans La Vie devant soi, ceux du jeune Luc Mathieu avec le malheureux Théo Vanderputte, dans Le Grand Vestiaire et les miens avec ma mère, dans La Promesse de l’aube, étaient exactement les mêmes et avait passé le déjeuner auquel je l’avais conviée à relever les similitudes de thèmes et les détails des deux œuvres, jusqu’au moindre tic de langage.

Je jouai la vanité d’auteur, toujours très convaincante.

— Évidemment, dis-je. Personne ne s’est aperçu à quel point Ajar est influencé par moi. Dans les cas que vous citez si justement, on peut même parler de véritable plagiat. Mais enfin, c’est un jeune auteur, je n’ai pas l’intention de protester. D’une manière générale, l’influence qu’exerce mon œuvre sur les jeunes écrivains n’est pas assez soulignée. Je suis heureux que vous vous en rendiez compte…

Les beaux yeux de Laure Boulay me dévisageaient attentivement. J’espère qu’au moment où paraîtront ces pages, elle aura réalisé son rêve : être grand reporter. Pendant toute la durée de notre entretien, j’en fus éperdument amoureux. Je m’attache très facilement.

Je ne crois pas qu’elle fut dupe. Je crois que, par gentillesse, elle m’a épargné…

Cela commençait à pleuvoir de tous les côtés. Un professeur de français à la retraite, M. Gordier, me faisait remarquer que le fétiche de Momo, « le parapluie Arthur », était déjà celui de la petite Josette, dans Le Grand Vestiaire… Et que tout Ajar était déjà contenu dans La Danse de Gengis Cohn, jusqu’au « trou juif », qui y tient la même place que dans La Vie devant soi… Et que, dans ce roman, le passage où Momo donne son chien à une dame riche pour que l’animal ait une vie plus heureuse que lui-même, est une « récidive » exacte des pages, dans Le Grand Vestiaire, où Luc donne son chien à un GI américain pour que ce dernier l’emmène avec lui au pays de Cocagne…

Je répondis une fois de plus qu’il ne fallait pas trop en vouloir à un jeune auteur…

— Comprenez bien, monsieur, il est normal qu’un écrivain de ma stature influence les jeunes…

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