— Quand je l’ai épousée, dit l’avocat, c’était une belle fille blonde et appétissante. Pendant vingt ans je l’ai regardée grossir, je l’ai regardée vieillir. J’avais l’impression… Je ne sais pas : que cela signifiait quelque chose ; que cela conduisait quelque part. Et puis non ! L’assiette qui tourne au bout d’un bâton de jongleur ne signifie rien non plus. Je suis une assiette au bout d’un bâton, Lisa.
« Je tourne, je tourne… Le mouvement se ralentit progressivement. Un jour je tomberai et me briserai.
Il rabattit d’un geste brusque le couvercle de la valise car la vue des vêtements l’incommodait.
— Vous avez remarqué les nombreuses plantes vertes qui prétendent orner mon appartement ?
— Oui. Elles sont belles, fit Lisa, sincère.
— Tous les matins, Lotte les essuie feuille après feuille avant de les arroser et de les gaver d’engrais mystérieux. Ce sont nos enfants. Nous avons eu des plantes vertes ensemble. Lotte et moi. D’autres ont des oiseaux, des chiens, des chats ou des poissons exotiques… D’autres ont des enfants ! Je vis dans une serre et, par instants, j’avais un peu l’impression de devenir végétal.
— Vous aviez ? souligna-t-elle, surprise par cet imparfait.
Il la prit aux épaules. Personne n’avait jamais mis ses mains ainsi sur les épaules de Lisa. C’étaient des mains sûres et ferventes.
— Lisa, je ne sais pas si nous réussirons l’évasion de votre Frank, mais je peux assurer que nous avons réussi la mienne.
Une musique hystérique éclata tout à coup. Ils sursautèrent et se tournèrent vers Paulo qui venait d’entrer en balançant à bout de bras un transistor en marche. Le poste ronflait à plein régime, au paroxysme de ses possibilités. Paulo jeta un regard coagulé sur le couple. Il fixait les mains blanches de Gessler toujours posées sur les épaules de Lisa.
Les mâchoires crispées, Paulo referma la porte vitrée d’un coup de talon. Les carreaux fêlés chantèrent. Grincheux, le petit homme s’avança, posa le poste de radio sur le bureau et rendit à Gessler ses clés de voiture. Gessler avait retiré ses mains, Paulo montra le poste.
— Il a une bonne sonorité, dit-il, on sent que c’est made in Germany !
Gessler coupa le contact et l’appareil redevint silencieux.
— Il est inutile de le faire marcher maintenant, trancha l’avocat.
— Vous croyez qu’ils sont dans le tunnel, maintenant ? demanda Lisa.
Gessler regarda sa montre.
— C’est possible.
— C’est dans le premier ou dans le second ascenseur que ça doit se passer ? demanda-t-elle.
— Dans le second, c’est-à-dire dans celui de la remontée. Il était préférable de leur laisser traverser le fleuve, sinon, en cas d’anicroche, ils se seraient fait bloquer dans le tunnel.
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