La journ ée d’hier m’a tout à f’ait reconcilié avec elle. Je l’ai cru passer bien autrement, cette journée, et je suis enchanté que le proverbe: Homo pro-ponit, Deus disponit avait servi cette fois à mon avantage. A midi j’allais chez Gretsch à la campagne; je l’ai rencontré au quai de Petersbourg, nous avons causé un peu ensemble et puis nous nous sommes séparés. Comme l’heure du dîner était encore très éloignée et que j’étais déjà dehors, par conséquent ne voulant pas rentrer avant d’avoir faire quelque chose, me voilà qui me décide d’aller voir Mme. Je trottais déjà sur le pont de Wibourg, clopin-clopant com-me je le pouvais à cause des bottes qui me torturaient les pieds, lorsque j’ap-perois Mr. Woïeikoff qui courait en droschki à deux places; je le salue, il s’arrête, m’invite à prendre place dans son droschki, et quoique je serais bien content de m’excuser là-dessus, je n’ai pas voulu faire des grimaces, j’accepte donc son offre obligeant d’aller bonne grâce et nous voilà à converser et sur le mauvais temps, et sur l’intempestibilité du climat de St. Petersbourg, et sur la fumée de Londres, et sur les 93 marches de l’escalier de Gretsch, et sur la ma-ladie de Madame Woïeikoff, et sur les talents et l’amabilité de Mr Noroff. Bref, nous avons fait le caquet bon-bec depuis le pont jusqu’à l’Académie de la medicine et chirurgie. Là je l’ai prié de faire arrêter la voiture, disant que j’avais une visite à faire à l’académie. Nous nous sommés dits force compliments et j’ai été très charmé d’avoir éluder une conversation plus longue.
Je viens chez Madame, j ’y trouve Yakowleff et Kouschinnikoff qui arrive un moment après. Madame me reçoit d’abord assez sèchement; elle veut re-tenir Yakoveff qui s’évade. On s’arrange à faire un tour de promenade avec Mme Goffard et les enfants, elle y va en effet. Je l’atteins et la plaisante sur ce qu’elle a l’air d’une maîtresse de pension, elle retourne à la maison. Nous déjeunons, nous parlons, et tout d’un coup elle me fait cadeau d’un mouchoir pour porter en chemise sous le gilet. Nous nous mettons de nouveau en marche pour aller à la campagne où demeurent les enfants de Mme Goffard; notre suite est composée de Mr Ponomareff, Madame, M. Kouschinnikoff, Mme Goffard, Alexandrine et moi. Madame me donne le bras, nous arrivons en face de la campagne de Mr Dournoff et prenons un bateau qui nous transporte jusqu’à la campagne Bezborodko; nous passons par le jardin. Madame me donnait tou-jours le bras pour la mener; au bout du jardin nous trouvons un pont couvert à demi écroulé et qui n’a pour tout plancher que deux poutres touchant le milieu du pont couvert. Je mène Madame avec toutes les précautions et sollicitude possibles; Hector reste au milieu du pont, n’osant point passer; elle l’appelle, il jappe et reste indécis. Je me précipite sur la poutre, je prends le chien sur mes bras, tout crotté qu’il était et je le porte sur l’autre bord, ce qui m’a valu des expressions très aimables, même tendres de la part de Madame.
Le reste de la journ ée s’est passée assez agréablement pour moi. Après diner nous sommes allés en bateau à Krestowsky; là je me suis absenté pour quelques minutes; je les rejoins déjà sur le bateau et j’inventais des excuses et des incidents. Elle m’a pourtant grondé avec assez d’amertume:
J’ai oublié de noter qu’elle m’a grondé pour je ne sais quelles préten-tions lorsque je lui ai demandé le pardon pour je ne sais quelles fautes. Ensui-te elle s’est radoucie, elle m’a marqué du regret de ce que je ne lui écrivais plus, je lui ai renouvellé la prière de me permettre de lui écrire, ce que m’a été accordé.