– Dans
Nous contournons l'hôtel des Invalides pour rejoindre l'esplanade. Combien d'amoureux de par le monde rêvent en ce moment même d'être à Paris?
– Votre Charlotte n'est pas de cette race-là, mais elle doit penser qu'un peu d'éloignement va redonner de l'éclat à son aura. Passons au troisième défi, le plus magistral, celui de la retrouver.
Pour l'instant, je n'ai pas de temps à perdre avec les caprices et les états d'âme d'une demoiselle, fût-elle la femme de ma vie. Saga passe avant tout le reste.
– Pourquoi ne pas nous réunir tous les quatre pour une bonne séance de «brainstorming», comme dit Jérôme. Je nous crois capables de remettre la main sur votre Charlotte bien mieux que ne le feraient une escouade de détectives privés. Retrouver l'être aimé mystérieusement disparu, c'est un joli sujet de film qui mérite quelques extras, non?
Pour un peu je l'embrasserais, là, avant de nous engager sur le pont Alexandre III. Quel besoin ai-je eu de parler de Charlotte! Je ne retrouverai jamais une conjoncture aussi parfaite. Il faut aller au cinéma pour réunir autant de fureur poétique. Ou dans un de ces romans d'amour que Mathilde a passé sa vie à écrire.
– À quoi bon perdre son temps à lire? Surtout des romans rosés?
– J'en ai ouvert un, par curiosité. Dans la liste des publications, votre nom n’apparaît jamais.
Un rire mutin s'échappe de ses lèvres. Elle se penche au parapet pour regarder couler la Seine.
– Avec un nom comme Pellerin, je n'aurais pas vendu dix exemplaires dans toute une vie.
Nous reprenons notre route plus vite que je ne l'aurais cru comme si l'évocation de sa vie passée avait fait s'évaporer la magie du moment. Elle me prend le bras pour s'aider à marcher à la façon d'une cavalière de bal. Je n'y vois qu'un signe de confiance.
– Les huit romancières que j'ai hébergées sous ma plume n'ont écrit toutes ces histoires que pour un seul homme.
En passant devant le Grand Palais, elle me raconte ses débuts dans la littérature rosé, sa rencontre avec son mentor, Victor Hébrard, la création des Éditions du Phoenix. Vingt ans de la vie de Mathilde se déroulent jusqu'aux Champs-Elysées. Vingt ans de douleur et de dévouement à un salopard qui l'a mise au rancart comme un jouet cassé.
– Vous voulez que j'aille lui péter la gueule?
Elle sourit avec une pointe de nostalgie. Je dois ressembler à un chevalier servant trop tardif et peu crédible.
– Vous êtes adorable, Marco, mais je ne voudrais pas qu'on me l'abîme. Il faut qu'il soit en pleine forme pour ce que j'ai l'intention de lui faire subir.
– Vous avez une idée?
– Un début d'idée,
Je comprends mieux les petits déjeuners en tête à tête de Mathilde et Jérôme…
– Malgré tout, je dois rendre hommage à Victor. Sans lui, je ne vous aurais jamais connus, tous les trois. Et je n'aurais même jamais écrit la moindre ligne. Il n'y a pas si longtemps j'ai fait le calcul: neuf mille six cents pages d'amour. J'ai passé la première moitié de ma vie à écrire la théorie et j'ai la ferme intention de consacrer la seconde à tout mettre en pratique.
– Qu'est-ce que vous voulez dire?
– Je veux faire comme dans mes livres, je vais aimer, je vais coucher, je vais tromper. En tout cas, je ne souffrirai plus, je n’attendrai plus près du téléphone, je ne rêverai plus stupidement du bonheur.
Coucher… coucher… Si elle savait que son parfum me vrille les sens depuis un mois et demi! Il suffirait d'une phrase nue, une seule. Mais les phrases nues sont interdites dans la vraie vie.
– Je ne vous vois pas tromper qui que ce soit, Mathilde.
En passant devant Saint-Philippe-dû-Roule, elle m'a regardé avec une pointe de consternation retenue, je me suis senti sur le point d'être grondé. Sans le faire exprès j'ai piqué dans quelque chose de vif et de précieux.
– L'adultère…? Mais, Marco… l'adultère c'est… C'est toute ma vie!
Rien que ça.
– L'adultère est l'épicentre de l'amour. C'est ce qui rend passionnant l'amour légitime et donne tant de prix à l'être aimé. L'adultère est la part brûlante des couples comme l'enfer est celle d'une bibliothèque. C'est ce qui fait qu'on en veut toujours plus. Nous ne sommes pas tous égaux devant les sentiments, vous savez. Il y en a de plus doués que d'autres.
– Délicieusement immoral votre truc.