L'image apparaît. Camille est assise de trois quarts à droite de l'écran, le pasteur est assis en face d'elle, près d'un mur en vieilles pierres. Le type qui joue le pasteur doit avoir dans les cinquante ans, il arbore un masque de gravité inouï. On s'y croirait.
– Il y a longtemps que vous pensez au suicide…?
– Je ne sais pas… Oui… depuis longtemps…
– Avez-vous vu un docteur, vous êtes en bonne santé?
– Oui.
Silence terrible. Le pasteur joint ses mains à hauteur du nez, pas pour prier mais pour prendre son élan.
– Ma femme est morte, il y a quatre ans. Je l'aimais. Ma vie était finie. La mort ne me fait pas peur. Alors rien ne me forçait plus à vivre. Pourtant j'ai continué. Pas pour moi, mais pour servir. Quand j'étais jeune, j'avais de grands rêves, de l'ambition. J'ignorais tout du mal. Quand j'ai été ordonné, j'étais comme un enfant. Et puis tout s'est précipité, j'ai été nommé aumônier de la marine à Lisbonne, pendant la Guerre d'Espagne. Je ne pouvais plus voir. Ni rien comprendre. Je refusais la réalité. Mon Dieu et moi vivions dans un monde fermé. Voyez-vous, comme pasteur, je ne vaux rien.
Je cherche le regard de Jérôme qui cherche le mien. Le Vieux écoute, de loin, comme s'il connaissait le dialogue par cœur. Cet homme se remettra-t-il un jour de la mort de sa femme?
– … Je croyais en un Dieu absurde, paternel, qui nous aimait tous, et moi le premier. Comprenez-vous mon affreuse erreur? Moi si lâche, si égoïste… Je ne pouvais pas être un bon pasteur. Pouvez-vous imaginer mes prières, et ce Dieu-écho si confortable? Quand je Le confrontais avec la réalité, Il devenait hideux. Un Dieu-araignée, un monstre. C'est pourquoi je Le préservais de la lumière. Je Le maintenais hors de la vie. Seule ma femme pouvait voir mon Dieu…
Le cadre ne change toujours pas. Le type balance tout son monologue en plan-séquence.
– Elle me soutenait, m'encourageait, comblait les vides…
Silence. Tout à coup, Camille, gênée, se lève.
– … Je dois partir.
– Non! Je vais vous expliquer pourquoi je parle tant de moi!
Je vais vous expliquer quelle pauvre créature je suis! Un mendiant! – Je pars, sinon ma famille va s'inquiéter.
– Encore un instant!
Gros plan sur le visage de Camille qui ne peut ni rester ni partir.
– Nous allons parler tranquillement. Je vous parais obscur. Mais tout se passe dans ma tête. Même si Dieu n 'existe pas, cela importe peu. Car la vie a une explication. Et la mort est simplement la désintégration du corps et de l'esprit. La cruauté des êtres, leur solitude et leur peur. Tout cela est clair! Évident! Il n'y a pas te raison à la souffrance! Il n'y a pas de Créateur! Pas de Sauveur! Pas de pensée, rien!
Silence. Regard de Camille devenu aussi grave que l'autre. Comme s'il venait de confirmer tout ce qu'elle ressentait déjà. Elle sort. Gros plan sur le visage du pasteur, seul.
– Dieu… pourquoi m'as-Tu abandonné…?
Le plan suivant, on se retrouve dans le salon des Fresnel où Bruno bavasse gentiment avec Mildred, une cuisse de poulet entre les dents. Le Vieux arrête la bande.