Je commence à en avoir quine de le traîner.
— Maintenant, mon brave ami, vous pouvez retourner à vos salades… Si vous avez des nouvelles à m’apprendre, téléphonez-moi, voici ma carte.
Je le moule sur ces bonnes paroles et je rejoins Félicie.
— Comment vont les choses ? s’inquiète Môman.
— En rasant les murs et avec un loup de velours sur la figure. On doit œuvrer dans le mystère. Cette affaire-là, c’est comme à Saclay, on ne la tripote que derrière un paravent de verre.
Elle me voit en renaud et voudrait faire quelque chose pour me calmer.
— Il est comment, ce directeur de journal ?
— Comme son journal, M’man. Il s’exprime en caractères gras et il a l’impression que l’humanité ne vaut que les vingt-cinq balles de sa feuille de chou.
— Où allons-nous, maintenant ?
— Chez l’homme d’affaires qui a acheté cette damnée cambuse. Ensuite je t’offre un dîner en ville parce que, entre nous, la blanquette de la mère Pinaud ne valait pas un pet de lapin.
C’est vraiment pas le jour ni l’heure pour se présenter chez des honnêtes gens, c’est ce que me fait comprendre la soubrette à Me
Barbautour. Une friponne, celle-là ! Elle a le regard vicelard, en tire-bouchon, si vous voyez ce que je veux dire. Avec une poitrine qui répond présent et semble sur le point de nous faire l’aumône.— De la part de qui ?
— De M. Simon Persavéça, réponds-je, espérant que ce nom prestigieux sera un sésame efficient.
La môme me guide à un petit salon Empire et me désigne un canapé sous un vaste tableau représentant le Corsico à la station Pyramides (Porte-de-la-Villette — Mairie-d’Ivry). Au lieu de m’asseoir, je me mets à mater la peinturlure, et soudain je pige une vérité historique. Les gens se sont demandé longtemps pourquoi le Napo se carrait la paluche dans le gilet. Je vais vous donner une explication rationnelle. Vous savez qu’il est canné d’un cancer à l’estom’ ? On peut conclure que son mal le taquinait déjà et que c’était pour se masser le burlingue qu’il adoptait cette attitude célèbre. Il nous reste à nous réjouir, pour le standing des manuels scolaires, qu’il n’ait pas eu une maladie wagnérienne car ç’aurait été dans le tiroir du dessous qu’il aurait glissé la pogne et là, ça risquait de faire mauvais genre.
J’en suis icigo de ma méditation lorsque Me
Barbautour pointe ses deux cents livres de viande sur pied dans le salon. À part son poids, il a comme signe distinctif un pif gros comme un croupion d’oie et le regard pas frais d’un hareng saur.Il fronce les sourcils.
— Monsieur ? On m’avait annoncé…
— Je sais, aussi est-ce de la part de Simon Persavéça que je viens. Commissaire San-Antonio.
— Oh ! Oh !
Il aurait dit : « Ah ! Ah ! », il obtenait le même effet et n’était pas obligé d’arrondir les lèvres. Ce mouvement doit constituer sa culture physique quotidienne car il s’affaisse sur un fauteuil qui donne le
— Je dois tout d’abord vous demander la plus grande discrétion, monsieur Poilautour.
— Barbau…
Je sursaute, croyant à une insulte…
— Pas Poilau, Barbautour, geint le maître. (C’est un maître qui est gradué, si j’en crois sa plaque.)
— Excusez-moi, y a pas d’offense, rectifié-je.
Pour dissiper cette mauvaise impression, je me hâte de lui relater (troisième édition) l’affaire qui m’amène.
Un peu sidéré, le mastodonte, en apprenant qu’il a acheté pour le compte de
— C’est épouvantable ! bave-t-il. Que doit penser mon cher ami Simon !
— Des tas de choses désagréables, conviens-je. Pour tout vous dire, puisque nous sommes entre nous, il l’a plutôt saumâtre.
— Je vais lui téléphoner !
— Pas maintenant, il reçoit ! Et il reçoit des ministres, pas des condoléances…
Le gros enflé se dégonfle. Euphémisme,
— Maintenant, monsieur Barbautrou…
— Tour !
— Pardon ?
— Pas trou, tour… Barbautour.
— Excusez. Maintenant il s’agit de mettre ce mystère K.-O. et vous devez me donner un sérieux coup de main.
— Moi ?
— Vous !
— Mais co… co…
Je le contemple, me demandant s’il est de la jaquette flottante. Le voilà qui m’appelle Coco à c’t’heure !
— Mais co… co… comment puis-je vous aider ? complète-t-il à mon profond soulagement.