Читаем San-Antonio met le paquet полностью

— Vous l’avez reconnu ? me demande le barman avec ferveur.

— Et comment ! C’est lui qui ne m’a pas remis…

Je saute de mon tabouret. Les filles qui draguent dans le secteur répandent un parfum obsédant et lourd ; si je m’attarde encore ici je vais choper la migraine, c’est recta.

Je vois disparaître la silhouette de Ravioli par une porte étroite à gauche de la scène. Je fonce. L’atmosphère des coulisses est plus déprimante que celle du bar. Ici, outre le parfum, ça renifle la sueur, la femme, l’hippodrome aussi…

Un vieux zig chauve, vêtu d’un smok trouvé dans une poubelle un matin de décembre, m’intercepte.

— Où allez-vous ?

Il pue la gnole à plein nez.

— J’ai rendez-vous avec mon ami Ange.

Il hésite.

— Bon, je vais vous annoncer, c’est de la part de… ?

Je l’écarte d’une bourrade.

— Dis, grand-dabe, on n’est pas à Buckingham Palace, non !

Il n’ose insister. Je passe devant les coulisses. Les portes en sont généralement ouvertes et ces dames se refringuent en causant de la rougeole de leur petit dernier et de la cad du vieux mironton qui les entretient.

La dernière lourde est marquée « Direction ». Comme ça, à la craie. Pas fiérot, Ange Ravioli. Il ne cherche pas à chiquer au Barnum. Je frappe.

— Oui ?

J’ouvre. Il est seul dans une pièce minuscule meublée d’un burlingue à volets et de quelques chaises recouvertes de peluche rouge. Au mur, un portemanteau et des photos de filles à loilpé dédicacées.

Ange est en train de se débarrasser du mirifique pardingue. Il se détourne et me contemple sans chaleur.

— Qu’est-ce que c’est ?

Je dépose ma carte sur son bureau et je choisis une chaise.

— Tiens ! fait-il sans s’émouvoir. C’est donc plus Bonichon qui fait la virée ?

— Y a gourance, monsieur Ravioli, je ne suis pas de la Mondaine.

Son regard se coagule. Qu’il n’aime pas les poulets, c’est neuf. D’ailleurs, cette aversion est très généralisée en France. Mais en plus de l’antipathie, il y a de la méfiance dans ses carreaux.

— Alors vous voulez quoi ?

Je m’assieds à l’amerlock, les pinceaux sur son bureau pour lui montrer que dans mon genre, j’ai de grosses analogies avec Attila. (Au lieu d’être le roi des Huns, je suis le roi des Vingt-Deux.)

— C’est toute une histoire, mon cher… Je gratte en relation avec Interpol…

Le mot le fait tiquer.

— Si vous me cherchez du suif, y a gourance, déclare-t-il. J’ai eu des petits ennuis autrefois, mais on vous dira sur la place que maintenant je suis régul. Vous pouvez fouiller ma taule, si vous trouvez un gramme de chnouf je vous paie des prunes. Pas de jeux clandestins, pas d’abattage en arrière-boutique !

— En somme, y te reste plus qu’à postuler pour la Légion d’honneur, non ?

Un petit rictus tord sa lèvre. Il est assez beau gosse, Ravioli. Il ressemble à Raf Vallone ; un Vallone aux tifs aplatis par la gomina, façon pin-up boy 1939.

— Bon, coupe-t-il. Vous disiez donc que vous étiez embringué avec l’Inter ?…

— C’est les copains de Hambourg qui font du zèle. Ils recherchent un certain Keller qui a disparu depuis quelques années.

En lançant ça, je n’ai pas quitté Ange des yeux. Il est resté impavide, un peu trop peut-être, à mon sens.

Le silence devient gênant. Il est relatif, d’ailleurs, car dans la salle, les musicos mettent toute la gomme dans un tcha-tcha. Tous les veaux ont dû abandonner leurs tables pour se frotter le nombril en cadence. Et après, ils se marrent quand, au ciné, ils voient gambiller autour d’un feu les bougnouls de l’A-OF.

— Ce Keller en question marnait dans la joncaille, poursuis-je. Des barlus de toutes provenances débarquaient clandestinement des lingots à Hambourg et lui, il faisait la distribution.

— Je vois pas pourquoi vous me causez de ce monsieur, déclare Ravioli. J’ai jamais entendu parler de lui. Keller, vous dites ?

Il ponctue cette affirmation d’une moue évasive. M’est avis qu’il en remet. Les malfrats ne savent pas jouer simple. Ils en sont restés à Sarah Bernhardt et quand ils essaient de se renouveler, ils prennent des leçons chez le mime Marceau !

— Mince ! soupiré-je, alors on m’a mal tuyauté.

Ça lui flétrit le gros côlon. Ce petit sous-entendu signifie qu’un indic a fait du texte et il n’aime pas ça, Ange. Mais alors pas du tout.

— Qu’est-ce qu’on vous a dit ?

— Que ce Keller était une relation à toi.

— Cette bourde !

— J’ai pas dit « un ami » : j’ai dit « une relation ». Tu tiens une taule où des tas de gens peuvent venir… Comprends, Ange, je te suspecte pas, je cherche seulement à savoir ce que ce Frisé est devenu. Sa santé, je m’en balance… Seulement…

Il attend, tendu comme une peau de tambour.

— Seulement ?

— Non, rien !

Je me lève.

— Puisque tu le connais pas, y a maldonne… Excuse le dérangement.

Je suis presque à la lourde.

— Eh ! monsieur le commissaire !

— Oui ?

— Qu’est-ce que vous alliez dire ?

Ça le démange, son nez bouge.

— C’est un pastaga qui dépasse les dimensions policières, tu vois où je veux en venir ?

— Non.

— Tant pis, pourquoi continuer de parler de ça ? Tu ne le connais pas, un point c’est tout !

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