— Où ça ? s'inquiète le Mahousse.
— Je ne sais pas, mais on y va quand même !
— Si z'au moins on avait une arme, soupire le Gros, j'ai horreur de me balader les mains vides dans un guêpier pareil !
— De toutes manières, lui dis-je, il n’est pas question d'assiéger la citadelles tout ce qu'on peut essayer de faire c'est de se barrés !
Joignant le geste à la jactance, je rase le mur jusqu'à l'extrémité du couloir. Une porte donne sur une esplanade de l'autre côté de laquelle bée un hangar où sont remisées deux tires : la jeep et un camion tout-terrain de l'armée. Le gars qui nous a extraits du tombeau la veille est occupé à réparer le camion. Il chante en bossant. C'est un truc espagnol, vous savez ? Façon gargarisme.à l'eau salée !
— On va s'élancer en terrain découvert, dis-je aux aminches. On se pique la jeep et, on dit au revoir à ces braves gens. Toi, Riri, tu la mets en route pendant que je m'occupe du ténor, vu ?
— Vu !
Nous nous élançons dans la lumière torride : J'arrive le premier, battant Belloise d'une poitrine et Béru d'un dargeot. Le mécanicien se retourne sans cesser de chanter. Il n'en croit pas ses yeux en amande.
— Ferme ta bouche, Toto, recommandé-je, je voudrais prendre les mesures de ton menton.
Il va pour choper un outil, mais mes cinq francforts unies pour le meilleur et pour le Pire entrent déjà en collision avec sa mâchoire. Il part en arrière et, prompt comme l'éclair, sort un couteau un peu moins long que l'épée de Damoclès. La lame claque. Il lève le bras pour me perforer. Comme une truffe je suis bloqué par le camion et je n'ai rien sous la pogne pour essayer de me défendre. Mais Sa Seigneurie Béruréenne, veille. Le Gros chope un seau plein d'huile de vidange et le propulse sur la bouille de l'homme aux favoris. La question est tranchée sans l'aide de son ya. Je lui fais le coup du chasseur sachant shooter. Terminé ! Le moteur de la jeep ronfle déjà !
— Les voyageurs en voiture ! lance Belloise qui a l'air de se payer une seconde jeunesse.
— Une seconde, fils !
Je ramasse le lingue du zig vidangé et je plante la lame dans les pneus du camion. J'en perfore deux et je vais pour m'occuper du troisième lorsque Béru tonne :
— Acré ! Les v'là !
Alors je saute dans la jeep et Riri fait un démarrage en trombe.
A la sortie de la vaste cour, l'homme en blanc et deux mastars nous coupent la retraite, armés de parabellums à grand spectacle.
Ils nous couchent en joue, ce qui est moins gentil que de nous coucher sur leur testament ou' dans le lit de leurs épouses. L'homme en blanc nous hurle de stopper, mais on s'en tamponne le coquillard.
— Baissez-vous et laissez-moi manœuvrer ! nous dit Riri.
Dans la vie, il est des circonstances où il faut faire confiance à son prochain. Le Gros et moi-même nous nous mettons à croupetons sur le plancher de la jeep. Ça se met à vaser ferme. On se croirait au Chemin des Dames. Les balles crépitent contre la carrosserie. Le pare-brise fait des petits et on se prend des morceaux de sécurité plein les tifs. Mais l'auto continue de foncer. Un cri ! Un choc ! Je me dis qu'on a percuté un arbre, mais non : il s'agit d'un homme. La jeep passe dessus et continue sa course zigzaguée. Maintenant les balles viennent de derrière, preuve que nous avons franchi le barrage. Bientôt la mitraillade cesse. Nos intercepteurs doivent se rabattre sur le camion pour la poursuite western ; ils vont être contents de trouver leurs boudins dégonflés.
— Ça va, relevez-vous ! dit Belloise.
On se réinstalle sur les sièges.
— Pas de bobo ? je demande à notre conducteur émérite.
Il rigole.
— Un petit bout d'oreille de rien du tout. C'était joyce, non ? Ça m'a rappelé quand on a ratissé la succursale du Crédit Lyonnais à Vitry !
Il réalise brusquement à qui il parle et bredouille :
— Je disais ça pour se marrer, naturlich !
— Ben voyons, fais-je.
Je regarde derrière moi. En bordure du bungalow, je vois une masse sombre sur le sol.
— Dis voir, Riri, t'aurais pas meurtri un des gars, par hasard ?
— Dame, il nous défouraillait dessus, je lui ai fait le truc de la corrida et il s'est pas évacué assez rapidos. Je crois bien que sa cage à soufflets en a pris un vieux coup, j'ai entendu craquer. Faudra qu'y se fasse remettre des cerceaux neufs, moi je vous le dis !
Je mate la guimbarde. Elle est percée comme des gants de coureur cycliste.
— On a eu de la chance de ne pas se faire trouer les chaussettes avec cette distribution d'olives, apprécié je.
— Parle pas d'olives, tu veux, supplie Sa Rondeur, je crève littérairement de faim !
— Je me demande où nous sommes, murmure Belloise. Vous trouvez pas que le paysage manque un peu d'ombre ?
— C'est vrai, gars. Les bûcherons ne doivent pas faire fortune dans ce bled.
— Ce serait pas le Sahara ?
— Je l'ignore ; tout ce que je peux vous dire, c'est que ça n'est en tout cas pas la forêt de Marly !
— A ton avis, hasarde le Goret, il y a loin d'ici z'au prochain bistrot ?
— Douze mille kilomètres à peine.
Il gémit.