Читаем Sans famille полностью

Avec vingt-huit francs dans notre poche, nous étions des grands seigneurs, et lorsque nous arrivâmes à Corbeil, je pus, sans trop d’imprudence, me livrer à quelques acquisitions que je jugeais indispensables : d’abord un cornet à piston qui me coûta trois francs chez un marchand de ferraille ; pour cette somme, il n’était ni neuf ni beau, mais enfin récuré et soigné il ferait notre affaire ; puis ensuite des rubans rouges pour nos bas ; et enfin un vieux sac de soldat pour Mattia, car il était moins fatigant d’avoir toujours sur les épaules un sac léger, que d’en avoir de temps en temps un lourd ; nous nous partagerions également ce que nous portions avec nous, et nous serions plus alertes.

Quand nous quittâmes Corbeil, nous étions vraiment en bon état ; nous avions, toutes nos acquisitions payées, trente francs dans notre bourse, car nos représentations avaient été fructueuses ; notre répertoire était réglé de telle sorte que nous pouvions rester plusieurs jours dans le même pays sans trop nous répéter ; enfin nous nous entendions si bien, Mattia et moi, que nous étions déjà ensemble comme deux frères.

– Tu sais, disait-il quelquefois en riant, un chef de troupe comme toi qui ne cogne pas, c’est trop beau.

– Alors, tu es content ?

– Si je suis content ! c’est-à-dire que voilà le premier temps de ma vie, depuis que j’ai quitté le pays, que je ne regrette pas l’hôpital.

Cette situation prospère m’inspira des idées ambitieuses.

Après avoir quitté Corbeil, nous nous étions dirigés sur Montargis, en route pour aller chez mère Barberin.

Aller chez mère Barberin pour l’embrasser c’était m’acquitter de ma dette de reconnaissance envers elle, mais c’était m’en acquitter bien petitement et à trop bon marché.

Si je lui portais quelque chose.

Maintenant que j’étais riche, je lui devais un cadeau.

Quel cadeau lui faire ?

Je ne cherchai pas longtemps.

Il y en avait un qui plus que tout la rendrait heureuse, non-seulement dans l’heure présente, mais pour toute sa vieillesse, – une vache, qui remplaçât la pauvre Roussette.

Quelle joie pour mère Barberin, si je pouvais lui donner une vache, et aussi quelle joie pour moi !

Avant d’arriver à Chavanon j’achetais une vache et Mattia, la conduisant par la longe, la faisait entrer dans la cour de mère Barberin. Bien entendu, Barberin n’était pas là. – Madame Barberin, disait Mattia, voici une vache que je vous amène. – Une vache ! vous vous trompez, mon garçon. – Et elle soupirait. – Non, madame, vous êtes bien madame Barberin, de Chavanon ? Eh bien ! c’est chez madame Barberin que le prince (comme dans les contes de fées) m’a dit de conduire cette vache qu’il vous offre. – Quel prince ? – Alors je paraissais, je me jetais dans les bras de mère Barberin, et après nous être bien embrassés, nous faisions des crêpes et des beignets, qui étaient mangés par nous trois et non par Barberin, comme en ce jour de mardi-gras où il était revenu pour renverser notre poêle et mettre notre beurre dans sa soupe à l’oignon.

Quel beau rêve ! Seulement, pour le réaliser, il fallait pouvoir acheter une vache.

Combien cela coûtait-il, une vache ? Je n’en avais aucune idée ; cher, sans doute, très-cher, mais encore ?

Ce que je voulais, ce n’était pas une trop grande, une trop grosse vache. D’abord parce que plus les vaches sont grosses, plus leur prix est élevé ; puis ensuite, plus les vaches sont grandes, plus il leur faut de nourriture, et je ne voulais pas que mon cadeau devînt une cause d’embarras pour mère Barberin.

L’essentiel pour le moment c’était donc de connaître le prix des vaches, ou plutôt d’une vache telle que j’en voulais une.

Heureusement, cela n’était pas difficile pour moi, et dans notre vie sur les grands chemins, dans nos soirées à l’auberge, nous nous trouvions en relations avec des conducteurs et des marchands de bestiaux ; il était donc bien simple de leur demander le prix des vaches.

Mais la première fois que j’adressai ma question à un bouvier, dont l’air brave homme m’avait tout d’abord attiré, on me répondit en me riant au nez.

Le bouvier se renversa ensuite sur sa chaise en donnant de temps en temps de formidables coups de poing sur la table ; puis il appela l’aubergiste.

– Savez-vous ce que me demande ce petit musicien ? Combien coûte une vache, pas trop grande, pas trop grosse, enfin une bonne vache. Faut-il qu’elle soit savante ?

Et les rires recommencèrent ; mais je ne me laissai pas démonter.

– Il faut qu’elle donne du bon lait et qu’elle ne mange pas trop.

– Faut-il qu’elle se laisse conduire à la corde sur les grands chemins comme votre chien ?

Après avoir épuisé toutes ses plaisanteries, déployé suffisamment son esprit, il voulut bien me répondre sérieusement et même entrer en discussion avec moi.

– Il avait justement mon affaire, une vache douce, donnant beaucoup de lait, un lait qui était une crème, et ne mangeant presque pas ; si je voulais lui allonger quinze pistoles sur la table, autrement dit cinquante écus, la vache était à moi.

Перейти на страницу:

Похожие книги