– Je te demande ce chemin parce que je suis sûre d’y rencontrer Marius. Tu as connu Marius ? Non. Eh bien, c’est le père de mon enfant. Alors quand il a été brûlé dans la mine par le grisou, il s’est retiré dans ce chemin frais ; il ne se promène plus maintenant que dans des chemins frais, c’est bon pour ses brûlures. Lui il sait trouver ces chemins, moi je ne sais pas ; voilà pourquoi je ne l’ai pas rencontré depuis six mois. Six mois, c’est long quand on s’aime. Six mois, six mois !
Elle se tourna vers les bâtiments de la mine et montrant avec une énergie sauvage les cheminées de la machine qui vomissaient des torrents de fumée :
– Travail sous terre, s’écria-t-elle, travail du diable ! enfer, rends-moi mon père, mon frère Jean, rends-moi Marius ; malédiction, malédiction !
Puis revenant à moi :
– Tu n’es pas du pays, n’est-ce pas ? ta peau de mouton, ton chapeau disent que tu viens de loin : va dans le cimetière, compte une, deux, trois, une, deux trois, tous morts dans la mine.
Alors saisissant son enfant et le pressant dans ses bras :
– Tu n’auras pas mon petit Pierre, jamais !… l’eau est douce, l’eau est fraîche. Où est le chemin ? Puisque tu ne sais pas, tu es donc aussi bête que les autres qui me rient au nez. Alors pourquoi me retiens-tu ? Marius m’attend.
Elle me tourna le dos et se mit à marcher à grands pas en sifflant son air gai.
Je compris que c’était une folle qui avait perdu son mari tué par une explosion de feu grisou, ce terrible danger, et à l’entrée de cette mine, dans ce paysage désolé, sous ce ciel noir, la rencontre de cette pauvre femme, folle de douleur ; nous rendit tout tristes.
On nous indiqua l’adresse de l’oncle Gaspard ; il demeurait à une petite distance de la mine, dans une rue tortueuse et escarpée qui descendait de la colline à la rivière.
Quand je le demandai, une femme, qui était adossée à là porte, causant avec une de ses voisines, adossée à une autre porte, me répondit qu’il ne rentrerait qu’à six heures, après le travail.
– Qu’est-ce que vous lui voulez ? dit-elle.
– Je veux voir Alexis.
Alors elle me regarda de la tête aux pieds, et elle regarda Capi.
– Vous êtes Rémi ? dit-elle. Alexis nous a parlé de vous ; il vous attendait. Quel est celui-ci ?
Elle montra Mattia.
– C’est mon camarade.
C’était la tante d’Alexis. Je crus qu’elle allait nous engager à entrer et à nous reposer, car nos jambes poudreuses et nos figures hâlées par le soleil, criaient haut notre fatigue ; mais elle n’en fit rien et me répéta simplement que si je voulais revenir à six heures, je trouverais Alexis, qui était à la mine.
Je n’avais pas le cœur à demander ce qu’on ne m’offrait pas ; je la remerciai de sa réponse, et nous allâmes par la ville, à la recherche d’un boulanger, car nous avions grand’faim, n’ayant pas mangé depuis le petit matin, et encore une simple croûte qui nous était restée sur notre dîner de la veille. J’étais honteux aussi de cette réception, car je sentais que Mattia se demandait ce qu’elle signifiait. À quoi bon faire tant de lieues ?
Il me sembla que Mattia allait avoir une mauvaise idée de mes amis, et que quand je lui parlerais de Lise, il ne m’écouterait plus avec la même sympathie. Et je tenais beaucoup à ce qu’il eut d’avance de la sympathie et de l’amitié pour Lise.
La façon dont nous avions été accueillis ne m’engageait pas à revenir à la maison, nous allâmes un peu avant six heures attendre Alexis à la sortie de la mine.
L’exploitation des mines de la Truyère se fait par trois puits qu’on nomme puits Saint-Julien, puits Sainte-Alphonsine et puits Saint-Pancrace ; car c’est un usage dans les houillères de donner assez généralement un nom de saint aux puits d’extraction, d’aérage ou d’