Quand ces galeries traversaient des roches solides, elles étaient tout simplement des souterrains ; mais quand elles traversaient des terrains ébouleux ou mouvants, elles étaient boisées au plafond et des deux côtés avec des troncs de sapin travaillés à la hache, parce que les entailles faites à la scie amènent une prompte pourriture. Bien que ces troncs d’arbres fussent disposés de manière à résister aux poussées du terrain, souvent cette poussée était tellement forte que les bois se courbaient et que les galeries se rétrécissaient ou s’affaissaient au point qu’on ne pouvait plus y passer qu’en rampant. Sur ces bois croissaient des champignons et des flocons légers et cotonneux, dont la blancheur de neige tranchait avec le noir du terrain ; la fermentation des arbres dégageait une odeur d’essence ; et sur les champignons, sur les plantes inconnues, sur la mousse blanche, on voyait des mouches, des araignées, des papillons, qui ne ressemblent pas aux individus de même espèce qu’on rencontre à l’air. Il y avait aussi des rats qui couraient partout et des chauves-souris cramponnées aux boisages par leurs pieds, la tête en bas.
Ces galeries se croisaient, et çà et là, comme à Paris, il y avait des places et des carrefours ; il y en avait de belles et de larges comme les boulevards, d’étroites et de basses comme les rues du quartier Saint-Marcel ; seulement toute cette ville souterraine était beaucoup moins bien éclairée que les villes durant la nuit, car il n’y avait point de lanternes ou de becs de gaz, mais simplement les lampes que les mineurs portent avec eux. Si la lumière manquait souvent, le bruit disait toujours qu’on n’était pas dans le pays des morts ; dans les chantiers d’abatage, on entendait les détonations de la poudre dont le courant d’air vous apportait l’odeur et la fumée ; dans les galeries on entendait le roulement des wagons ; dans les puits, le frottement des cages d’extraction contre les guides, et par-dessus tout le grondement de la machine à vapeur installée au second niveau.
Mais où le spectacle était tout à fait curieux, c’était dans les
C’était là l’aspect de la mine aux jours de travail, mais il y avait aussi les jours d’accidents. Deux semaines après son arrivée à Varses, Alexis avait été témoin d’un de ces accidents et en avait failli être victime ; une explosion de
Rien n’est plus terrible que cette explosion qui brûle et renverse tout sur son passage ; on ne peut lui comparer que l’explosion d’une poudrière pleine de poudre ; aussitôt que la flamme d’une lampe ou d’une allumette est en contact avec le gaz, l’inflammation éclate instantanément dans toutes les galeries, elle détruit tout dans la mine, même dans les puits d’extraction ou d’aérage dont elle enlève les toitures ; la température est quelquefois portée si haut que le charbon dans la mine se transforme en coke.
Une explosion de grisou avait ainsi tué six semaines auparavant une dizaine d’ouvriers ; et la veuve de l’un de ces ouvriers était devenue folle ; je compris que c’était celle qu’en arrivant j’avais rencontrée avec son enfant cherchant « un chemin frais ».
Contre ces explosions on employait toutes les précautions : il était défendu de fumer, et souvent les ingénieurs en faisant leur ronde forçaient les ouvriers à leur souffler dans le nez pour voir ceux qui avaient manqué à la défense. C’était aussi pour prévenir ces terribles accidents qu’on employait des lampes Davy, du nom d’un grand savant anglais qui les a inventées : ces lampes étaient entourées d’une toile métallique d’un tissu assez fin pour ne pas laisser passer la flamme à travers ses mailles, de sorte que la lampe portée dans une atmosphère explosive, le gaz brûle à l’intérieur de la lampe, mais l’explosion ne se propage point au dehors.
Tout ce qu’Alexis me raconta surexcita vivement ma curiosité, qui était déjà grande en arrivant à Varses, de descendre dans la mine, mais quand j’en parlai le lendemain à l’oncle Gaspard, il me répondit que c’était impossible, parce qu’on ne laissait pénétrer dans la mine que ceux qui y travaillent.
– Si tu veux te faire mineur, ajouta-t-il en riant, c’est facile, et alors tu pourras te satisfaire. Au reste, le métier n’est pas plus mauvais qu’un autre, et si tu as peur de la pluie et du tonnerre, c’est celui qui te convient ; en tous cas il vaut mieux que celui de chanteur de chansons sur les grands chemins. Tu resteras avec Alexis. Est-ce dit, garçon ? On trouvera aussi à employer Mattia, mais pas à jouer du cornet à piston par exemple !