Il était Italien et il avait une insouciance, une amabilité, une facilité pour se plier aux difficultés sans se fâcher ou se révolter, que n’ont pas les gens de mon pays, plus disposés à la résistance et à la lutte.
– Quel est donc ton pays ? me direz-vous, tu as donc un pays ?
Il sera répondu à cela plus tard ; pour le moment j’ai voulu dire seulement que Mattia et moi nous ne nous ressemblions guère, ce qui fait que nous nous accordions si bien ; même quand je le faisais travailler pour apprendre ses notes et pour apprendre à lire. La leçon de musique, il est vrai, avait toujours marché facilement, mais pour la lecture il n’en avait pas été de même, et des difficultés auraient très-bien pu s’élever entre nous, car je n’avais ni la patience ni l’indulgence de ceux qui ont l’habitude de l’enseignement. Cependant ces difficultés ne surgirent jamais, et même quand je fus injuste, ce qui m’arriva plus d’une fois, Mattia ne se fâcha point.
Il fut donc entendu que pendant que je descendrais le lendemain dans la mine, Mattia s’en irait donner des représentations musicales et dramatiques, de manière à augmenter notre fortune ; et Capi à qui j’expliquai cet arrangement, parut le comprendre.
Le lendemain matin on me donna les vêtements de travail d’Alexis.
Après avoir une dernière fois recommandé à Mattia et à Capi d’être bien sages dans leur expédition, je suivis l’oncle Gaspard.
– Attention, dit-il, en me remettant ma lampe, marche dans mes pas, et en descendant les échelles, ne lâche jamais un échelon sans auparavant en bien tenir un autre.
Nous nous enfonçâmes dans la galerie ; lui marchant le premier, moi sur ses talons.
– Si tu glisses dans les escaliers, continua-t-il, ne te laisse pas aller, retiens-toi, le fond est loin et dur.
Je n’avais pas besoin de ces recommandations pour être ému, car ce n’est pas sans un certain trouble qu’on quitte la lumière pour entrer dans la nuit, la surface de la terre pour ses profondeurs. Je me retournai instinctivement en arrière, mais déjà nous avions pénétré assez avant dans la galerie, et le jour au bout de ce long tube noir n’était plus qu’un globe blanc comme la lune dans un ciel sombre et sans étoiles. J’eus honte de ce mouvement machinal, qui n’eut que la durée d’un éclair, et je me remis bien vite à emboîter le pas.
– L’escalier, dit-il bientôt.
Nous étions devant un trou noir, et dans sa profondeur insondable pour mes yeux, je voyais des lumières se balancer, grandes à l’entrée, plus petites jusqu’à n’être plus que des points, à mesure qu’elles s’éloignaient. C’étaient les lampes des ouvriers qui étaient entrés avant nous dans la mine : le bruit de leur conversation, comme un sourd murmure, arrivait jusqu’à nous porté par un air tiède qui nous soufflait au visage : cet air avait une odeur que je respirais pour la première fois, c’était quelque chose comme un mélange d’éther et d’essence.
Après l’escalier, les échelles, après les échelles un autre escalier.
– Nous voilà au premier niveau, dit-il.
Nous étions dans une galerie en plein cintre, avec des murs droits ; ces murs étaient en maçonnerie. La voûte était un peu plus élevée que la hauteur d’un homme ; cependant il y avait des endroits où il fallait se courber pour passer, soit que la voûte supérieure se fût abaissée, soit que le sol se fût soulevé.
– C’est la poussée du terrain, me dit-il. Comme la montagne a été partout creusée et qu’il y a des vides, les terres veulent descendre, et, quand elles pèsent trop, elles écrasent les galeries.
Sur le sol étaient des rails de chemins de fer et sur le côté de la galerie coulait un petit ruisseau.
– Ce ruisseau se réunit à d’autres qui, comme lui, reçoivent les eaux des infiltrations ; ils vont tous tomber dans un puisard. Cela fait mille ou douze cents mètres d’eau que la machine doit jeter tous les jours dans la Divonne. Si elle s’arrêtait, la mine ne tarderait pas à être inondée. Au reste en ce moment, nous sommes précisément sous la Divonne.
Et, comme j’avais fait un mouvement involontaire, il se mit à rire aux éclats.
– À cinquante mètres de profondeur, il n’y a pas de danger qu’elle te tombe dans le cou.
– S’il se faisait un trou ?
– Ah bien ! oui, un trou. Les galeries passent et repassent dix fois sous la rivière ; il y a des mines où les inondations sont à craindre, mais ce n’est pas ici ; c’est bien assez du
Lorsque nous fûmes arrivés sur le lieu de notre travail, l’oncle Gaspard me montra ce que je devais faire, et lorsque notre