– Nous n’avons pas le temps de causer de cela aujourd’hui, dit-il, il faut pousser la benne
, mais c’est demain dimanche, viens me voir ; je t’expliquerai ça à la maison ; j’ai là des morceaux de charbon et de roche que j’ai ramassés depuis trente ans et qui te feront comprendre par les yeux ce que tu entendras par les oreilles. Ils m’appellent en riant le magister, mais le magister, tu le verras, est bon à quelque chose ; la vie de l’homme n’est pas toute entière dans ses mains, elle est aussi dans sa tête. Comme toi et à ton âge j’étais curieux ; je vivais dans la mine, j’ai voulu connaître ce que je voyais tous les jours ; j’ai fait causer les ingénieurs quand ils voulaient bien me répondre, et j’ai lu. Après mon accident j’avais du temps à moi, je l’ai employé à apprendre : quand on a des yeux pour regarder et que sur ces yeux on pose des lunettes que vous donnent les livres, on finit par voir bien des choses. Maintenant je n’ai pas grand temps pour lire et je n’ai pas d’argent pour acheter des livres, mais j’ai encore des yeux et je les tiens ouverts. Viens demain, je serais content de t’apprendre à regarder autour de toi. On ne sait pas ce qu’une parole qui tombe dans une oreille fertile peut faire germer. C’est pour avoir conduit dans les mines de Bessèges un grand savant nommé Brongniart et l’avoir entendu parler pendant ses recherches, que l’idée m’est venue d’apprendre et qu’aujourd’hui j’en sais un peu plus long que nos camarades. À demain.Le lendemain j’annonçai à l’oncle Gaspard que j’allais voir le magister
.– Ah ! ah ! dit-il en riant, il a trouvé à qui causer ; vas-y, mon garçon, puisque le cœur t’en dit ; après tout, tu croiras ce que tu voudras ; seulement, si tu apprends quelque chose avec lui, n’en sois pas plus fier pour ça ; s’il n’était pas fier, le magister
serait un bon homme.Le magister ne demeurait point, comme la plupart des mineurs, dans l’intérieur de la ville, mais à une petite distance, à un endroit triste et pauvre qu’on appelle les Espétagues
, parce qu’aux environs se trouvent de nombreuses excavations creusées par la nature dans le flanc de la montagne. Il habitait là chez une vieille femme, veuve d’un mineur tué dans un éboulement. Elle lui sous-louait une espèce de cave dans laquelle il avait établi son lit à la place la plus sèche, ce qui ne veut pas dire qu’elle le fût beaucoup, car sur les pieds du bois de lit poussaient des champignons ; mais pour un mineur habitué à vivre les pieds dans l’humidité et à recevoir toute la journée sur le corps des gouttes d’eau, c’était là un détail sans importance. Pour lui, la grande affaire, en prenant ce logement, avait été d’être près des cavernes de la montagne dans lesquelles il allait faire des recherches, et surtout de pouvoir disposer à son gré sa collection de morceaux de houille, de pierres marquées d’empreintes, et de fossiles.Il vint au-devant de moi quand j’entrai, et d’une voix heureuse :
– Je t’ai commandé une biroulade
, dit-il, parce que si la jeunesse a des oreilles et des yeux, elle a aussi un gosier, de sorte que le meilleur moyen d’être de ses amis, c’est de satisfaire le tout en même temps.La biroulade
est un festin de châtaignes rôties qu’on mouille de vin blanc, et qui est en grand honneur dans les Cévennes.– Après la biroulade
, continua le magister, nous causerons et tout en causant je te montrerai ma collection.Il dit ce mot ma collection
d’un ton qui justifiait le reproche que lui faisaient ses camarades, et jamais assurément conservateur d’un muséum n’y mit plus de fierté. Au reste cette collection paraissait très-riche, au moins autant que j’en pouvais juger, et elle occupait tout le logement, rangée sur des planches et des tables pour les petits échantillons, posée sur le sol pour les gros. Depuis vingt ans, il avait réuni tout ce qu’il avait trouvé de curieux dans ses travaux, et comme les mines du bassin de la Cère et de la Divonne sont riches en végétaux fossiles, il avait là des exemplaires rares qui eussent fait le bonheur d’un géologue et d’un naturaliste.Il avait au moins autant de hâte à parler que moi j’en avais à l’écouter ; aussi la biroulade
fut-elle promptement expédiée.