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Comme je venais de rouler ma benne au puits Sainte-Alphonsine pour la troisième fois, j’entendis du côté du puits un bruit formidable, un grondement épouvantable et tel que je n’avais jamais rien entendu de pareil depuis que je travaillais dans la mine. Était-ce un éboulement, un effondrement général ? J’écoutai ; le tapage continuait en se répercutant de tous côtés. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Mon premier sentiment fut l’épouvante, et je pensai à me sauver en gagnant les échelles ; mais on s’était déjà moqué de moi si souvent pour mes frayeurs, que la honte me fit rester. C’était une explosion de mine ; une benne qui tombait dans le puits ; peut-être tout simplement des remblais qui descendaient par les couloirs.

Tout à coup un peloton de rats me passa entre les jambes en courant comme un escadron de cavalerie qui se sauve ; puis il me sembla entendre un frôlement étrange contre le sol et les parois de la galerie avec un clapotement d’eau. L’endroit où je m’étais arrêté étant parfaitement sec, ce bruit d’eau était inexplicable.

Je pris ma lampe pour regarder, et la baissai sur le sol.

C’était bien l’eau ; elle venait du côté du puits, remontant la galerie. Ce bruit formidable, ce grondement, étaient donc produits par une chute d’eau qui se précipitait dans la mine.

Abandonnant ma benne sur les rails, je courus au chantier.

– Oncle Gaspard, l’eau est dans la mine !

– Encore des bêtises !

– Il s’est fait un trou sous la Divonne ; sauvons-nous !

– Laisse-moi tranquille !

– Écoutez donc.

Mon accent était tellement ému que l’oncle Gaspard resta le pic suspendu pour écouter ; le même bruit continuait toujours plus fort, plus sinistre. Il n’y avait pas à s’y tromper, c’était l’eau qui se précipitait.

– Cours vite, me cria-t-il, l’eau est dans la mine. Tout en criant : « l’eau est dans la mine », l’oncle Gaspard avait saisi sa lampe, car c’est toujours là le premier geste d’un mineur, il se laissa glisser dans la galerie.

Je n’avais pas fait dix pas que j’aperçus le magister qui descendait aussi dans la galerie pour se rendre compte du bruit qui l’avait frappé.

– L’eau dans la mine ! cria l’oncle Gaspard.

– La Divonne a fait un trou, dis-je.

– Es-tu bête.

– Sauve-toi ! cria le magister.

Le niveau de l’eau s’était rapidement élevé dans la galerie ; elle montait maintenant jusqu’à nos genoux, ce qui ralentissait notre course.

Le magister se mit à courir avec nous et tous trois nous criions en passant devant les chantiers :

– Sauvez-vous ! l’eau est dans la mine !

Le niveau de l’eau s’élevait avec une rapidité furieuse ; heureusement nous n’étions pas très-éloignés des échelles, sans quoi nous n’aurions jamais pu les atteindre. Le magister y arriva le premier, mais il s’arrêta :

– Montez d’abord, dit-il, moi je suis le plus vieux, et puis j’ai la conscience tranquille.

Nous n’étions pas dans les conditions à nous faire des politesses ; l’oncle Gaspard passa le premier, je le suivis, et le magister vint derrière, puis après lui, mais à un assez long intervalle, quelques ouvriers qui nous avaient rejoints.

Jamais les quarante mètres qui séparent le deuxième niveau du premier, ne furent franchis avec pareille rapidité. Mais avant d’arriver au dernier échelon un flot d’eau nous tomba sur la tête et noya nos lampes. C’était une cascade.

– Tenez bon ! cria l’oncle Gaspard.

Lui, le magister et moi nous nous cramponnâmes assez solidement aux échelons pour résister, mais ceux qui venaient derrière nous furent entraînés, et bien certainement si nous avions eu plus d’une dizaine d’échelons à monter encore nous aurions, comme eux, été précipités, car instantanément la cascade était devenue une avalanche.

Arrivés au premier niveau nous n’étions pas sauvés, car nous avions encore cinquante mètres à franchir avant de sortir, et l’eau était aussi dans cette galerie ; nous étions sans lumière, nos lampes éteintes.

– Nous sommes perdus, dit le magister d’une voix presque calme, fais ta prière, Rémi.

Mais au même instant, dans la galerie, parurent sept ou huit lampes qui accouraient vers nous ; l’eau nous arrivait déjà aux genoux, sans nous baisser nous la touchions de la main. Ce n’était pas une eau tranquille, mais un torrent, un tourbillon qui entraînait tout sur son passage et faisait tournoyer des pièces de bois comme des plumes.

Les hommes qui accouraient sur nous, et dont nous avions aperçu les lampes, voulaient suivre la galerie et gagner ainsi les échelles et les escaliers qui se trouvaient près de là ; mais devant pareil torrent c’était impossible : comment le refouler, comment même résister à son impulsion et aux pièces de boisage qu’il charriait.

Le même mot qui avait échappé au magister, leur échappa aussi :

– Nous sommes perdus !

Ils étaient arrivés jusqu’à nous.

– Par là, oui, cria le magister qui seul entre nous paraissait avoir gardé quelque raison, notre seul refuge est aux vieux travaux.

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