– Attendre ; veux-tu percer les quarante ou cinquante mètres qui nous séparent du jour avec ton crochet de lampe ?
– Mais nous allons mourir de faim.
– Ce n’est pas là qu’est le plus grand danger.
– Voyons, magister, parle, tu nous fais peur ; où est le danger, le grand danger ?
– La faim, on peut lui résister ; j’ai lu que des ouvriers, surpris comme nous par les eaux, dans une mine, étaient restés vingt-quatre jours sans manger : il y a bien des années de cela, c’était du temps des guerres de religion ; mais ce serait hier, ce serait la même chose. Non, ce n’est pas la faim qui me fait peur.
– Qu’est-ce qui te tourmente, puisque tu dis que les eaux ne peuvent pas monter ?
– Vous sentez-vous des lourdeurs dans la tête, des bourdonnements ; respirez-vous facilement ? moi, non.
– Moi, j’ai mal à la tête.
– Moi, le cœur me tourne.
– Moi, les tempes me battent.
– Moi, je suis tout bête.
– Eh bien ! c’est là qu’est le danger présentement. Combien de temps pouvons-nous vivre dans cet air ? Je n’en sais rien. Si j’étais un savant au lieu d’être un ignorant, je vous le dirais. Tandis que je ne le sais pas. Nous sommes à une quarantaine de mètres sous terre, et, probablement, nous avons trente-cinq ou quarante mètres d’eau au-dessus de nous : cela veut dire que l’air subit une pression de quatre ou cinq atmosphères. Comment vit-on dans cet air comprimé ? voilà ce qu’il faudrait savoir et ce que nous allons apprendre à nos dépens, peut-être.
Je n’avais aucune idée de ce que c’était que l’air comprimé, et précisément pour cela, peut-être, je fus très-effrayé des paroles du magister ; mes compagnons me parurent aussi très-affectés de ces paroles ; ils n’en savaient pas plus que moi, et, sur eux comme sur moi, l’inconnu produisit son effet inquiétant.
Pour le magister, il ne perdait pas la conscience de notre situation désespérée, et quoiqu’il la vît nettement dans toute son horreur, il ne pensait qu’aux moyens à prendre pour organiser nôtre défense.
– Maintenant, dit-il, il s’agit de nous arranger pour rester ici sans danger de rouler à l’eau.
– Nous avons des trous.
– Croyez-vous que vous n’allez pas vous fatiguer de rester dans la même position ?
– Tu crois donc que nous allons rester ici longtemps ?
– Est-ce que je sais !
– On va venir à notre secours.
– C’est certain, mais pour venir à notre secours, il faut pouvoir. Combien de temps s’écoulera, avant qu’on commence notre sauvetage ? Ceux-là seuls qui sont sur la terre, peuvent le dire. Nous qui sommes dessous, il faut nous arranger pour y être le moins mal possible, car si l’un de nous glisse, il est perdu.
– Il faut nous attacher tous ensemble.
– Et des cordes ?
– Il faut nous tenir par la main.
– M’est avis que le mieux est de nous creuser des paliers comme dans un escalier ; nous sommes sept, sur deux paliers nous pourrons tenir tous ; quatre se placeront sur le premier, trois sur le second.
– Avec quoi creuser ?
– Nous n’avons pas de pics.
– Avec nos crochets de lampes dans le poussier, avec nos couteaux dans les parties dures.
– Jamais nous ne pourrons.
– Ne dis donc pas cela, Pagès ; dans notre situation on peut tout pour sauver sa vie ; si le sommeil prenait l’un de nous comme nous sommes en ce moment, celui-là serait perdu.
Par son sang-froid et sa décision, le magister avait pris sur nous une autorité qui, d’instant en instant, devenait plus puissante ; c’est là ce qu’il y a de grand et de beau dans le courage, il s’impose ; d’instinct nous sentions que sa force morale luttait contre la catastrophe qui avait anéanti la nôtre, et nous attendions notre secours de cette force.
On se mit au travail, car il était évident que le creusement de ces deux paliers était la première chose à faire ; il fallait nous établir, sinon commodément, du moins de manière à ne pas rouler dans le gouffre qui était à nos pieds. Quatre lampes étaient allumées, elles donnaient assez de clarté pour nous guider.
– Choisissons des endroits où le creusement ne soit pas trop difficile, dit le magister.
– Écoutez, dit l’oncle Gaspard, j’ai une proposition à vous faire : si quelqu’un a la tête à lui, c’est le magister ; quand nous perdions la raison il a conservé la sienne ; c’est un homme, il a du cœur aussi. Il a été piqueur comme nous, et sur bien des choses il en sait plus que nous. Je demande qu’il soit chef de poste et qu’il dirige le travail.
– Le magister ! interrompit Carrory qui était une espèce de brute, une bête de trait, sans autre intelligence que celle qui lui était nécessaire pour rouler sa
– Ce n’est pas un rouleur qu’on prend, animal ; c’est un homme ; et, de nous tous, c’est lui qui est le plus homme.
– Vous ne disiez pas cela hier.
– Hier, j’étais aussi bête que toi et je me moquais du magister comme les autres, pour ne pas reconnaître qu’il en savait plus que nous. Aujourd’hui je lui demande de nous commander. Voyons, magister, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? J’ai de bons bras, tu sais bien. Et vous, les autres ?