Malheureusement, deux minutes après, un martin-pêcheur, rapide comme une flèche, traversa le canal à l’avant du bateau, laissant derrière lui un rayon bleu.
Arthur souleva la tête pour le suivre.
Puis quand la vision fut évanouie, il me regarda.
Alors m’adressant la parole :
— Je ne peux pas, dit-il, et cependant je voudrais bien.
Je m’approchai.
— Cette fable n’est pourtant pas bien difficile, lui dis-je.
— Oh ! si, bien difficile, au contraire.
— Elle m’a paru très-facile ; et en écoutant votre maman la lire, il me semble que je l’ai retenue.
Il se mit à sourire d’un air de doute.
— Voulez-vous que je vous la dise ?
— Pourquoi, puisque c’est impossible.
— Mais non, ce n’est pas impossible ; voulez-vous que j’essaye ? prenez le livre.
Il reprit le livre et je commençai à réciter ; il n’eut à me reprendre que trois ou quatre fois.
— Comment, vous la savez ! s’écria-t-il.
— Pas très-bien, mais maintenant je crois que je la dirais sans faute.
— Comment avez-vous fait pour l’apprendre ?
— J’ai écouté votre maman la lire, mais je l’ai écoutée avec attention sans regarder ce qui se passait autour de nous.
Il rougit et détourna les yeux ; puis après un court moment de honte :
— Je comprends comment vous avez écouté, dit-il, et je tâcherai d’écouter comme vous ; mais comment avez-vous fait pour retenir tous ces mots qui se brouillent dans ma mémoire ?
Comment j’avais fait ? Je ne savais trop, car je n’avais pas réfléchi à cela ; cependant je tâchai de lui expliquer ce qu’il me demandait en m’en rendant compte moi-même.
— De quoi s’agit-il dans cette fable ? dis-je. D’un mouton. Je commence donc à penser à des moutons. Ensuite je pense à ce qu’ils font : « Des moutons étaient en sûreté dans leur parc. » Je vois les moutons couchés et dormant dans leur parc puisqu’ils sont en sûreté, et les ayant vus je ne les oublie plus.
— Bon, dit-il, je les vois aussi : « Des moutons étaient en sûreté dans leur parc. » J’en vois des blancs et des noirs ; je vois des brebis et des agneaux. Je vois même le parc : il est fait de claies.
— Alors vous ne l’oublierez plus ?
— Oh ! non.
— Ordinairement qui est-ce qui garde les moutons ?
— Des chiens.
— Quand ils n’ont pas besoin de garder les moutons, parce que ceux-ci sont en sûreté, que font les chiens ?
— Ils n’ont rien à faire.
— Alors ils peuvent dormir ; nous disons donc : « les chiens dormaient. »
— C’est cela, c’est bien facile.
— N’est-ce pas que c’est très-facile ? Maintenant, pensons à autre chose. Avec les chiens, qu’est-ce qui garde les moutons ?
— Un berger.
— Si les moutons sont en sûreté, le berger n’a rien à faire, à quoi peut-il employer son temps.
— À jouer de la flûte.
— Le voyez-vous ?
— Oui.
— Où est-il ?
— à l’ombre d’un grand ormeau.
— Il est seul ?
— Non, il est avec d’autres bergers voisins.
— Alors, si vous voyez les moutons, le parc, les chiens et le berger, est-ce que vous ne pouvez pas répéter sans faute le commencement de votre fable ?
— Il me semble.
— Essayez.
En m’entendant parler ainsi et lui expliquer comment il pouvait être facile d’apprendre une leçon qui tout d’abord paraissait difficile, Arthur me regarda avec émotion et avec crainte, comme s’il n’était pas convaincu de la vérité de ce que je lui disais ; cependant, après quelques secondes d’hésitation, il se décida.
— « Des moutons étaient en sûreté dans leur parc, les chiens dormaient, et le berger, à l’ombre d’un grand ormeau, jouait de la flûte avec d’autres bergers voisins. »
Alors frappant ses mains l’une contre l’autre :
— Mais je sais, s’écria-t-il, je n’ai pas fait de faute.
— Voulez-vous apprendre le reste de la fable de la même manière ?
— Oui, avec vous je suis sûr que je vais l’apprendre. Ah ! comme maman sera contente !
Et il se mit à apprendre le reste de la fable, comme il avait appris sa première phrase.
En moins d’un quart d’heure il la sut parfaitement et il était en train de la répéter sans faute lorsque sa mère survint derrière nous.
Tout d’abord elle se fâcha de nous voir réunis, car elle crut que nous n’étions ensemble que pour jouer, mais Arthur ne lui laissa pas dire deux paroles :
— Je la sais, s’écria-t-il, et c’est lui qui me l’a apprise.
Madame Milligan me regardait toute surprise, et elle allait sûrement m’interroger, quand Arthur se mit, sans qu’elle le lui demandât, à répéter le
Pendant ce temps, je regardais madame Milligan ; je vis son beau visage s’éclairer d’un sourire, puis il me sembla que ses yeux se mouillèrent ; mais comme à ce moment elle se pencha sur son fils pour l’embrasser tendrement en l’entourant de ses deux bras, je ne sais pas si elle pleurait.
— Les mots, disait Arthur, c’est bête, ça ne signifie rien, mais les choses on les voit, et Rémi m’a fait voir le berger avec sa flûte ; quand je levais les yeux en apprenant je ne pensais plus à ce qui m’entourait, je voyais la flûte du berger et j’entendais l’air qu’il jouait. Voulez-vous que je vous chante l’air, maman ?