— Maintenant, poursuivit madame Milligan, il nous reste à obtenir le consentement de son maître ; pour cela je vais lui écrire de venir nous trouver à Cette, car nous ne pouvons pas retourner à Toulouse : je lui enverrai ses frais de voyage et après lui avoir fait comprendre les raisons qui nous empêchent de prendre le chemin de fer j’espère qu’il voudra bien se rendre à mon invitation. S’il accepte mes propositions, il ne me restera plus qu’à m’entendre avec les parents de Rémi ; car eux aussi doivent être consultés.
Jusque-là tout dans cet entretien avait marché à souhait pour moi, exactement comme si une bonne fée m’avait touché de sa baguette ; mais ces derniers mots me ramenèrent durement du rêve où je planais dans la triste réalité.
Consulter mes parents !
Mais sûrement ils diraient ce que je voulais qui restât caché. La vérité éclaterait. Enfant trouvé !
Alors ce serait Arthur, ce serait madame Milligan qui ne voudraient pas de moi ; alors l’amitié qu’ils me témoignaient serait anéantie ; mon souvenir même leur serait pénible ; Arthur aurait joué avec un enfant trouvé, en aurait fait son camarade, son ami, presque son frère.
Je restai atterré.
Madame Milligan me regarda avec surprise et voulut me faire parler, mais je n’osai pas répondre à ses questions ; alors croyant sans doute que c’était la pensée de la prochaine arrivée de mon maître qui me troublait ainsi, elle n’insista pas.
Heureusement cela se passait le soir, peu de temps avant l’heure du coucher ; je pus échapper bientôt aux regards curieux d’Arthur et aller m’enfermer dans ma cabine avec mes craintes et mes réflexions.
Ce fut ma première mauvaise nuit à bord du
Que faire ? Que dire ?
Je ne trouvais rien.
Et après avoir tourné et retourné cent fois les mêmes idées, après avoir adopté les résolutions les plus contradictoires, je m’arrêtai enfin à ne rien faire et à ne rien dire. Je laisserais aller les choses et je me résignerais, si je ne pouvais mieux, à ce qui arriverait.
Peut-être Vitalis ne voudrait-il pas renoncer à moi, et alors il n’y aurait pas à faire connaître la vérité.
Et tel était mon effroi de cette vérité, que je croyais si horrible, que j’en vins à souhaiter que Vitalis n’acceptât pas la proposition de madame Milligan.
Sans doute, il faudrait m’éloigner d’Arthur et de sa mère, renoncer à les revoir jamais peut-être ; mais au moins, ils ne garderaient pas de moi un mauvais souvenir.
Trois jours après avoir écrit à mon maître, madame Milligan reçut une réponse. En quelques lignes Vitalis disait qu’il aurait l’honneur de se rendre à l’invitation de madame Milligan et qu’il arriverait à Cette le samedi suivant par le train de deux heures.
Je demandai à madame Milligan la permission d’aller à la gare, et prenant les chiens ainsi que Joli-Cœur avec moi, nous attendîmes l’arrivée de notre maître.
Les chiens étaient inquiets comme s’ils se doutaient de quelque chose, Joli-Cœur était indifférent, et pour moi j’étais terriblement ému. C’était ma vie qui allait se décider. Ah ! si j’avais osé, comme j’aurais prié Vitalis de ne pas dire que j’étais un enfant trouvé !
Mais je n’osais pas, et je sentais que ces deux mots : « enfant trouvé », ne pourraient jamais sortir de ma gorge.
Je m’étais placé dans un coin de la cour de la gare, tenant mes trois chiens en laisse, et Joli-Cœur sous ma veste, et j’attendais sans trop voir ce qui se passait autour de moi.
Ce furent les chiens qui m’avertirent que le train était arrivé, et qu’ils avaient flairé notre maître. Tout à coup je me sentis entraîné en avant, et comme je n’étais pas sur mes gardes, les chiens m’échappèrent. Ils couraient en aboyant joyeusement, et presque aussitôt je les vis sauter autour de Vitalis qui dans son costume habituel, venait d’apparaître. Plus prompt, bien que moins souple que ses camarades, Capi s’était élancé dans les bras de son maître, tandis que Zerbino et Dolce se cramponnaient à ses jambes.
Je m’avançai à mon tour, et Vitalis posant Capi à terre, me serra dans ses bras : pour la première fois, il m’embrassa en me répétant à plusieurs reprises :
—
Mon maître n’avait jamais été dur pour moi, mais n’avait jamais non plus été caressant, et je n’étais pas habitué à ces témoignages d’effusion ; cela m’attendrit, et me fit venir les larmes aux yeux, car j’étais dans des dispositions où le cœur se serre vite.
Je le regardai, et je trouvai qu’il avait bien vieilli en prison ; sa taille s’était voûtée ; son visage avait pâli, ses lèvres s’étaient décolorées.
— Eh bien ! tu me trouves changé, n’est-ce pas, mon garçon ? me dit-il ; la prison est un mauvais séjour, et l’ennui une mauvaise maladie ; mais cela va aller mieux maintenant.
Puis changeant de sujet :
— Et cette dame qui m’a écrit, dit-il, comment l’as-tu connue ?