Sans lui répondre, je m’approchai d’Arthur et le prenant dans mes bras, je l’embrassai à plusieurs reprises, mettant dans ces baisers toute l’amitié fraternelle que je ressentais pour lui. Puis m’arrachant à sa faible étreinte et revenant à madame Milligan, je me mis à genoux devant elle, et lui baisai la main.
— Pauvre enfant ! dit-elle en se penchant sur moi.
Et elle m’embrassa au front.
Alors je me relevai vivement et courant à la porte :
— Arthur, je vous aimerai toujours ! dis-je d’une voix entrecoupée par les sanglots, et vous, madame, je ne vous oublierai jamais !
— Rémi, Rémi ! cria Arthur.
Mais je n’en entendis pas davantage ; j’étais sorti et j’avais refermé la porte.
Une minute après, j’étais auprès de mon maître.
— En route ! me dit-il.
Et nous sortîmes de Cette par la route de Frontignan.
Ce fut ainsi que je quittai mon premier ami et me lançai dans des aventures qui m’auraient été épargnées, si victime d’un odieux préjugé, je ne m’étais pas laissé affoler par une sotte crainte.
Chapitre 14
Neige et loups
Il fallut de nouveau emboîter le pas derrière mon maître et, la bretelle de ma harpe tendue sur mon épaule endolorie, cheminer le long des grandes routes, par la pluie comme par le soleil, par la poussière comme par la boue.
Il fallut faire la bête sur les places publiques et rire ou pleurer pour amuser l’honorable société.
La transition fut rude, car on s’habitue vite au bien-être et au bonheur.
J’eus des dégoûts, des ennuis et des fatigues que je ne connaissais pas avant d’avoir vécu pendant deux mois de la douce vie des heureux de ce monde.
Plus d’une fois, dans nos longues marches, je restai en arrière pour penser librement à Arthur, à madame Milligan, au
Ah ! le bon temps ! Et quand le soir, couché dans une sale auberge de village, je pensais à ma cabine du
Je ne jouerais donc plus avec Arthur, je n’entendrais donc plus la voix caressante de madame Milligan !
Heureusement, dans mon chagrin, qui était très-vif et persistant, j’avais une consolation : mon maître était beaucoup plus doux, — beaucoup plus tendre même, — si ce mot peut être juste appliqué à Vitalis, — qu’il ne l’avait jamais été !
De ce côté il s’était fait un grand changement dans son caractère ou tout au moins dans ses manières d’être avec moi, et cela me soutenait, cela m’empêchait de pleurer quand le souvenir d’Arthur me serrait le cœur ! Je sentais que je n’étais pas seul au monde et que dans mon maître, il y avait plus qu’un maître.
Souvent même, si j’avais osé, je l’aurais embrassé, tant j’avais besoin d’épancher au dehors les sentiments d’affection qui étaient en moi ; mais je n’osais pas, car Vitalis n’était pas un homme avec lequel on risquait des familiarités.
Tout d’abord, et pendant les premiers temps, ç’avait été la crainte qui m’avait tenu à distance ; maintenant c’était quelque chose de vague qui ressemblait à un sentiment de respect.
En sortant de mon village, Vitalis n’était pour moi qu’un homme comme les autres, car j’étais alors incapable de faire des distinctions ; mais mon séjour auprès de madame Milligan m’avait jusqu’à un certain point ouvert les yeux et l’intelligence ; et chose étrange, il me semblait, quand je regardais mon maître avec attention, que je retrouvais en lui, dans sa tenue, dans son air, dans ses manières, des points de ressemblance avec la tenue, l’air et les manières de madame Milligan.
Alors je me disais que cela était impossible, parce que mon maître n’était qu’un montreur de bêtes, tandis que madame Milligan était une dame.
Mais ce que me disait la réflexion n’imposait pas silence à ce que mes yeux me répétaient ; quand Vitalis le voulait, il était un monsieur tout comme madame Milligan était une dame ; la seule différence qu’il y eût entre eux tenait à ce que madame Milligan était toujours
Or, comme je n’étais ni hardi, ni insolent, je subissais cette influence et je n’osais pas m’abandonner à mes épanchements alors même qu’il les provoquait par quelques bonnes paroles.
Après être partis de Cette, nous étions restés plusieurs jours sans parler de madame Milligan et de mon séjour sur le
— Tu l’aimais bien, cette dame ? me disait Vitalis, oui ; je comprends cela ; elle a été bonne, très-bonne pour toi ; il ne faut penser à elle qu’avec reconnaissance.
Puis souvent il ajoutait :
— Il le fallait !
Qu’avait-il fallu ?