Si votre royaume, mon Dieu, etait de ce Monde, ce serait assez, pour vous tenir, que Je me confie aux puissances qui nous font souffrir et mourir en nous agrandissant palpablement, nous ou ce qui nous est plus cher que nous-memes. Mais, parce que le Terme vers lequel se meut la Terre est au-dela, non seulement de chaque chose individuelle, mais de l'ensemble des choses, -- parce que le travail du Monde consiste, non pas a engendrer en lui-meme quelque Realite supreme, mais a se consommer par union dans un Etre preexistant, il se trouve que, pour parvenir au centre flamboyant de l'Univers, ce n'est pas assez pour l'Homme de vivre de plus en plus pour soi, ni meme de faire passer sa vie dans une cause terrestre, si grande soit-elle. Le Monde ne peut vous rejoindre finalement Seigneur, que par une sorte d'inversion, de retournement, d'excentration ou sombre pour un temps, non seulement la reussite des individus, mais l'apparence meme de tout avantage humain. Pour que mon etre soit decidement annexe au votre, il faut que meure en moi, non seulement la monade, mais le Monde, c'est-a-dire que je passe par la phase dechirante d'une diminution que rien de tangible ne viendra compenser. Voila pourquoi, recueillant dans le calice l'amertume de toutes les separations, de toutes les limitations, de toutes les decheances steriles, vous me le tendez. " Buvez-en tous. " Comment le refuserais-je ce calice, Seigneur, maintenant que par le pain auquel vous m'avez fait gouter a glisse dans la moelle de mon etre l'inextinguible passion de vous rejoindre, plus loin que la vie, a travers la mort. La Consecration du Monde serait demeuree inachevee, tout a l'heure, si vous n'aviez pas anime avec predilection, pour ceux-la qui croiraient, les forces qui tuent, apres celles qui vivifient.
Ma Communion maintenant serait incomplete (elle ne serait pas chretienne, tout simplement) si, avec les accroissements que m'apporte cette nouvelle journee, je ne recevais pas, en mon nom et au nom du Monde, comme la plus directe participation a vous-meme, le travail, sourd ou manifeste, d'affaiblissement, de vieillesse et de mort qui mine incessamment l'Univers, pour son salut ou sa condamnation. Je m'abandonne eperdument, o mon Dieu, aux actions redoutables de dissolution par lesquelles se substituera aujourd'hui, je veux le croire aveuglement, a mon etroite personnalite votre divine Presence.
Celui qui aura aime passionnement Jesus cache dans les forces qui font mourir la Terre, la Terre en defaillant le serrera dans ses bras geants, et avec elle, il se reveillera dans le sein de Dieu.
Priere
Et maintenant, jesus, que voile sous les puissances du Monde, vous etes devenu veritablement et physiquement tout pour moi, tout autour de moi, tout en moi, je ferai passer dans une meme aspiration l'ivresse de ce que je tiens et la soif de ce qui me manque, et je vous repeterai, apres votre serviteur, les paroles enflammees ou se reconnaitra toujours plus exactement, j'en ai la foi inebranlable, le Christianisme de demain :
" Seigneur, enfermez-moi au plus profond des entrailles de votre Coeur. Et, quand vous m'y tiendrez, brulez-moi, purifiez-moi, enflammez-moi, sublimez-moi, jusqu'a satisfaction parfaite de vos gouts, jusqu'a la plus complete annihilation de moi-meme. "
"Tu autem, Domine mi, include me in imis visceribus Cordis tui. Atque ibi me detine, excoque, expurga, accende, ignifac, sublima, ad purissimum Cordis tui gustum atque placitum, ad puram annihilationem meam."
"Seigneur." Oh, oui, enfin ! par le double mystere de la Consecration et de la Communion universelles, j'ai donc trouve quelqu'un a qui je puisse, a plein coeur, donner ce nom ! Tant que je n'ai su ou ose voir en Vous, jesus, que l'homme d'il y a deux mille ans, le Moraliste sublime, l'Ami, le Frere, mon amour est reste timide et gene. Des amis, des freres, des sages, est-ce que nous n'en avons pas de bien grands, de bien exquis, et de plus proches, autour de nous ? Et puis, l'Homme peut-il se donner pleinement a une nature seulement humaine ? Depuis toujours, le Monde au-dessus de tout Element titi Monde, avait pris mon coeur, et jamais, devant personne autre, je n'aurais sincerement plie. Alors, longtemps, meme en croyant, j'ai erre sans savoir ce que j'aimais. Mais, aujourd'hui que par la manifestation des pouvoirs supra-humains que vous a conferes la Resurrection vous transparaissez pour moi, Maitre, a travers toutes les puissances de la Terre, alors je vous reconnais comme mon Souverain et je me livre delicieusement a Vous.
Etranges demarches de votre Esprit, mon Dieu ! - Quand, il y a deux siecles, a commence a se faire sentir, clans votre Eglise, l'attrait distinct de votre Coeur, il a pu sembler que ce qui seduisait les ames, c'etait la decouverte en Vous, d'un element plus determine, plus circonscrit, que votre Humanite meme.