— Reste la piste du bâtard et c’est ma préférée. Chateaubriand, l’autre, le vrai si je puis dire, était un homme à femmes. Il en a tant connu qu’il est improbable que ces unions, brèves ou longues, n’aient pas donné lieu à une descendance nombreuse, qu’il n’a pas reconnue. Mais suppose qu’une de ces femmes ait eu assez barre sur lui pour le contraindre à donner son nom à l’enfant. Alors notre Josselin serait un descendant direct, et portant légalement son nom.
— À deux siècles de distance, cela fait tout de même loin pour lui ressembler à ce point.
— N’oublie pas que dans ces familles, les mariages ou les unions consanguines allaient bon train. Ce qui a pu amplifier la possibilité génétique d’une telle anomalie. Je ne vois pas d’autre explication, même si elle n’est pas satisfaisante. Tu reprends un dernier verre avant qu’on se sépare ?
— Je ne sais pas, dit Adamsberg avec un geste évasif.
— Fais comme tu l’entends, je ne te force pas.
— Ce n’est pas cela, corrigea Adamsberg avec un mouvement d’excuse. C’est simplement que je dis souvent « Je ne sais pas ».
— Mais pourquoi ?
— Je ne sais pas, dit le commissaire en souriant. Va pour ce verre, Matthieu.
III
Le lendemain à neuf heures, Adamsberg prenait la route pour Paris, la tête encore encombrée des histoires du Boiteux, des piétineurs d’ombres et du raffiné Josselin de Chateaubriand.
Et un mois plus tard, Danglard le retrouvait dans son bureau au matin, à lire et relire cet article sur le meurtre de Louviec, qui l’absorbait sans nulle raison valable. Gaël Leven avait été un homme agressif, Adamsberg se souvenait de sa passe d’armes avec Chateaubriand à l’auberge. Il manqua téléphoner à Matthieu pour avoir des détails mais Danglard avait raison, cela ne le regardait en rien. Ce que savait Matthieu qui, à des centaines de kilomètres de là, songeait pourtant à Adamsberg, tenté d’entendre son avis. Après une heure d’hésitation, il ferma la porte de son bureau et l’appela.
— Adamsberg ? Matthieu. Ça va mal chez nous, tu es au courant ?
— Oui, Gaël Leven. Où ?
— Tout simplement dans la ruelle sombre qui le ramenait chez lui. Il revenait de l’auberge, bien bourré, assez au moins pour y avoir emmerdé pas mal de monde. Dont Josselin. En s’asseyant, il a renversé, soi-disant par accident mais nul ne s’y est trompé, une partie de son vin sur son gilet gris. Il faut que tu saches – et Gaël ne se privait pas de le dire – que tout l’énervait chez Josselin : son nom d’aristo, sa tenue « efféminée », ses boucles un peu longues. Dans l’ensemble, il faisait gaffe, car peu de gens le suivaient sur ce terrain. Et tous savent – je te l’ai dit – que c’est le maire qui attend de Chateaubriand qu’il cultive cette apparence assez élégante et désuète. Mais quand Gaël a trop bu, ça dégénère. Le patron l’a saisi par le col et éjecté de la salle.
— Comment a réagi Josselin ? Pour le verre de vin ?
— Il s’est simplement servi d’une serviette pour éponger son gilet. Très calmement.
— Et puis ?
— Et puis le médecin, ce type avec une belle chevelure blanche, tu te souviens ?
— Oui, il avait tenté de calmer le jeu.
— Il a quitté l’auberge dix minutes plus tard en empruntant le même chemin que Gaël. Et il l’a trouvé là, gisant dans son sang. Deux coups de couteau dans le thorax. L’un a perforé le poumon, l’autre a fracturé une côte et blessé le cœur. Le doc a appelé une ambulance de Combourg et il est resté aux côtés du blessé. Qui a parlé.
Au timbre de voix de Matthieu, Adamsberg sentit que quelque chose n’allait pas.
— Je t’écoute.
— Avant cela, ou tu n’y comprendras rien, je te raconte en deux mots la scène qui s’est passée la veille du meurtre lors d’une réception à la mairie, à l’occasion du vernissage d’un peintre local. Il y avait une soixantaine de personnes, dont un journaliste aigri, détestable et teigneux, qui tient la rubrique des faits divers dans
— Qu’a fait Josselin ?