Читаем Sur la dalle полностью

— C’est le seul homicide que Louviec ait connu, ça a marqué les esprits, dit Matthieu. C’est si tranquille ici que les gens en oublient de fermer leur porte. Le père Armez fourrait stupidement son argent sous le matelas. Tu parles d’une cachette. On a pensé à des amateurs en herbe, des crétins sans scrupules, on a cherché partout la trace de jeunes gens qui claquaient soudainement du fric mais ça n’a rien donné. Ensuite, et c’est là où l’affaire les passionne ici, le Boiteux a disparu de Louviec. Jusqu’à ces derniers temps.

— Et maintenant qu’il est revenu, dit un type maigrelet, qui va y passer à votre avis ?

— Je ne sais pas où vous avez la tête, dit Chateaubriand tout en mirant la couleur de son vin, levant son verre vers la lumière dans un geste, il faut bien le dire, plus gracieux que ceux de tous ses compagnons. Un, les fantômes n’existent pas, je vous le rappelle. Vous êtes bretons, vous avez la tête bien vissée sur les épaules. Deux, un fantôme ne quitte pas sa demeure. Trois, le fantôme de Combourg n’a jamais agressé personne, que je sache. Quatre, il y a quatorze ans, je n’étais pas encore revenu à Louviec. Cela vous va comme cela ? L’un de vous a entendu comme un martèlement ou en a rêvé. Et depuis, vous vous mettez tous à l’entendre. Ou plus exactement, vous l’imaginez tous. Hallucination collective. Tout cela n’est que chimère et plus tôt vous l’oublierez, plus tôt disparaîtra votre Boiteux.

L’intervention de Chateaubriand et l’arrivée de trois autres bouteilles mirent fin à la discussion qui se perdit dans une confusion générale.

— Ils y croient vraiment ? demanda Adamsberg.

— Je le crains, oui, pour la plupart. Selon les uns ou les autres, un peu, ou beaucoup.

— Et ils pensent que le Boiteux vient se balader par ici à cause de la présence de Chateaubriand ?

— Plus ou moins, même si, tu l’as entendu comme moi, Chateaubriand n’était pas à Louviec il y a quatorze ans. Mais dans ces affaires, la logique n’entre pas en compte. Ici par exemple, beaucoup croient dur comme fer que si quelqu’un marche sur ton ombre, et particulièrement à la tête, cela porte atteinte à l’intégrité de ton âme et, à la longue, te fait mourir. Beaucoup d’autres, la majorité, en rigolent et s’amusent à traverser les ombres. Des enfants surtout, qui jouent en groupe à sauter dessus jusqu’à ce qu’ils soient chassés à coups de claques.

— J’ai connu cela dans mon village des Pyrénées. Ma grand-mère nous tenait par la main et nous stoppait net dès que quelqu’un traversait la rue. Pour protéger nos ombres.

— C’est vieux comme le monde et pas un peuple n’a échappé à cette croyance, dit Matthieu en ôtant enfin la main de son œil. Mais tu me questionnais sur cette ressemblance effarante. Il n’y a que trois hypothèses. Il est si rarissime d’avoir un sosie que seule la piste de l’imposture tiendrait la route. J’ai cédé à la curiosité, j’ai cherché. Observé à la loupe le registre paroissial des naissances et celui de la mairie. Rien, conclut-il en secouant la tête. Le papier n’est pas gratté ni gommé, l’écriture du curé comme celle du préposé de la mairie sont parfaitement reconnaissables. Il est bien né ici, à Louviec, il y a cinquante-trois ans, d’un père nommé Auguste-Félix de Chateaubriand. Il n’a donc pas profité de sa ressemblance pour trafiquer son nom. Et puis un imposteur tâcherait d’en tirer avantage, non ? Au contraire, cette ressemblance ne lui a apporté que des ennuis. Il a erré de poste en poste, qu’on lui attribuait bras ouverts en raison de son visage et de son nom, sans lui demander le moindre diplôme. Si bien que dépourvu de toute formation, de professeur de lettres par exemple, il échouait à remplir sa tâche, d’autant que les programmes et les obligations lui faisaient horreur. Une vie semée d’échecs et de dégringolades qui l’a ramené humblement ici, à Louviec.

— Ta seconde hypothèse ?

— Son père, de Louviec également, était si fier de son nom et de son rejeton qu’il a passé des années à fouiller toutes les archives pour reconstituer le vaste arbre généalogique de la famille. Il est déposé aux archives de la mairie, Josselin n’en veut même pas. Le document fait bien un mètre sur deux, établi avec une grande précision, avec tous les noms et les dates – le père était notaire et d’une probité notoire – et je l’ai examiné de longues heures. On trouve bien en effet une lignée de cousins très éloignés, où figure un Josselin-Arnaud de Chateaubriand, premier du nom, transmis au fil des générations. Notre Josselin serait dans ce cas un cousin au quatrième degré. C’est loin, non ? Pour une telle ressemblance ?

— Trop.

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