Читаем Sur la dalle полностью

— Avec lui ? demanda Adamsberg en tendant à son collègue la page de son calepin. Tu te fous de moi, je viens de lire qu’il était mort en 1848.

Matthieu contempla le portrait élégant de Chateaubriand, finement dessiné par Adamsberg, et qui lui ressemblait trait pour trait.

— Comment as-tu fait cela ?

— Comment ? Mais je l’ai vu dans ton livre.

— Et cela t’a suffi ? Pourquoi le préfet ne t’a-t-il pas donné une seconde médaille ? Moi, je ne sais pas dessiner.

— Tourne la page.

Sur le feuillet suivant figurait le visage de Matthieu, dont Adamsberg avait rehaussé les traits les plus harmonieux et les expressions les plus vives afin de faire oublier qu’il n’était pas un homme très beau.

— Merde, dit Matthieu, stupéfait. Tu veux bien me le signer ? Et me l’offrir ?

Tandis qu’Adamsberg s’exécutait, Matthieu s’était levé, avait réglé le serveur et agitait ses clefs de voiture.

— Dépêche-toi, je ne voudrais pas le louper.

— Je ne sais pas me dépêcher.

— Ça va être son heure.

— Ne te fous pas de moi, répéta Adamsberg en empochant soigneusement son carnet.

Matthieu démarra et fila à vive allure vers le village de Louviec.

— Il vient très souvent dîner vers vingt heures, à l’Auberge des Deux Écus, l’une des meilleures tables à la ronde. Avec une excellente chambre pour toi. Et des ragots à n’en plus finir. C’est à Louviec, un gros village à neuf kilomètres d’ici. Un avantage de plus pour toi : c’est un vrai village breton, quasiment intact, avec le granit verdi, les ruelles glissantes et pavées, les vieilles colonnes médiévales et les voûtes, enfin tout ce qu’on peut souhaiter pour oublier Paris ou Rennes pour quelques heures. Je te conseille la poule aux champignons et au gratin.

— Va pour ta poule, dit Adamsberg en suivant son collègue à l’intérieur de l’auberge aux trois quarts remplie, au décor ostensiblement médiéval. Reproductions de tapisseries anciennes aux murs, épées, armures, tables en bois.

— On va s’installer là, dit Matthieu, je serai face à la porte et te ferai signe quand il entrera. Il s’assied généralement à cette table longue, on pourra entendre les ragots en prêtant l’oreille.

— Tu vois qu’il était inutile de se hâter, on a vingt minutes d’avance.

— Ce qui me donne le temps de te raconter l’histoire du Boiteux.

Matthieu grimaça légèrement, comme soudain réticent.

— Mais ne t’étonne pas, dit-il, si tu me trouves étrange. Si tu me vois me frotter l’œil gauche ou le couvrir de ma main.

— Tu as mal ?

— Pas encore. Mais mon œil souffre dès que je parle du fantôme. Je ne l’ai jamais raconté à personne mais je ne sais pas pourquoi, cela ne me gêne pas de te le dire. Aussi, garde cela pour toi.

— Tu crois au Boiteux ?

— Pas le moins du monde. Il n’empêche que chaque fois que j’en parle, il semble qu’on appuie très fort sur mon œil. Quand l’histoire est finie, ça s’en va.

— Cela te fait ça souvent ?

— Seulement pour le Boiteux. À présent, tu vas me prendre pour un cinglé. Tu en as, toi, des trucs de cinglé ?

— Je ne les compte même plus. Alors va sans crainte.

Matthieu sourit, puis se protégea l’œil de sa main en mesure préventive.

— Je t’écoute, dit Adamsberg, tandis que la serveuse disposait leurs couverts.

— C’est un très vieux fantôme. C’était avant que le père de Chateaubriand achète le château. Il était comte de Combourg, il s’appelait Malo de Coëtquen. On ne peut faire plus breton. Lors d’une bataille en 1709, il a perdu une jambe et portait depuis un pilon de bois. C’est le claquement de ce pilon sur les dalles qu’on entend dans le château de Combourg à la nuit. Attends, dit Matthieu en consultant son portable, j’ai là la phrase de Chateaubriand : « Un certain comte de Combourg à jambe de bois, mort depuis trois siècles » – en réalité en 1721 – « apparaissait, dit-on, à certaines époques et se faisait entendre dans l’escalier de la tourelle. Sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule accompagnée d’un chat noir… » D’autres ont raconté qu’on entendait parfois le miaulement du spectre du chat. Le père de Chateaubriand y croyait dur comme fer et n’avait pas manqué de le raconter aux enfants. Bonne petite histoire pour s’endormir, non ? Passe-moi un peu d’eau que je me tamponne l’œil.

Matthieu mouilla sa serviette dans son verre et tapota sa paupière, qu’Adamsberg trouva en effet un peu rougie.

— Attention, dit-il, le voilà, Josselin de Chateaubriand, l’actuel. Regarde, mais sois discret, c’est un homme aimable et humble, malgré son habillement un peu inusuel, mais il faut comprendre, son incroyable destin pèse sur ses épaules de tout son poids.

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