Cette mesure peut donner `a l’agriculture en Russie un essor consid'erable. Certaines provinces, en effet, o`u les habitants sont nombreux, demeurent improductives `a cause de la st'erilit'e du sol. En d’autres contr'ees, au contraire, la terre est fertile, mais les travailleurs manquent, et les excessives difficult'es qui entourent l’'emigration menacaient de faire s’'eterniser cet 'etat de choses.
5° Grandes facilit'es pour les passeports.
Cette mesure rentre dans le m^eme ordre de r'eformes que la pr'ec'edente, un paysan ne pouvant se d'eplacer, aller travailler dans une r'egion voisine sans ^etre astreint `a des formalit'es de passeport compliqu'ees et co^uteuses.
6° Fondation de banques rurales.
Cette derni`ere cr'eation est destin'ee `a d'ebarasser le pays d’un fl'eau rongeur, les petits usuriers, qui mangent le paysan et d'evastent les campagnes comme une arm'ee de sauterelles.
L’ensemble de ces r'eformes am`enera infailliblement un soulagement consid'erable pour le travailleur rural. Elles sent urgentes, absolument urgentes, et il est probable qu’elles s’ex'ecuteront avant la fin de l’ann'ee.
Il est probable 'egalement que la scrupuleuse probit'e du nouvel empereur le d'ecidera presque imm'ediatement `a faire aussi dans les finances des r'eformes consid'erables. Elles s’'etendront m^eme, sans doute, au budget de l’arm'ee; et elles arr^eteront les distributions scandaleuses des terres de la Couronne qui avaient lieu au moyen de ventes fictives et de mille autres proc'ed'es frauduleux.
Alexandre III s’efforcera, en outre, assur'ement, de relever la situation du clerg'e, tout en donnant une plus grande libert'e aux vieux croyants, qui sont, on le sait, tr`es nombreux.
Quant `a une constitution proprement dite, il serait assez surprenant qu’il l’accord^at. Toutes ses concessions `a ce point de vue se borneront sans doute `a laisser une plus grande latitude `a l’administration provinciale; il consentira nomm'ement `a faire participer le pays, les zemstvos, dans une certaine mesure, assez restreinte, `a l’administration des affaires.
Dans tous les cas, on ne peut pas pr'evoir qu’il accorde plus qu’une simple convocation de d'eput'es ayant seulement voix consultative sur un sujet d'etermin'e, objet unique de la r'eunion. Ainsi une assembl'ee de cette nature a 'et'e appel'ee `a donner son avis sur la question d’'emancipation des serfs. Il en sera peut-^etre de m^eme pour la r'epartition nouvelle de l’imp^ot et toutes les questions de finances qui s’y rattachent. Mais le tzar, ma^itre absolu, ne se trouve engag'e en rien par les conseils de ces d'el'egu'es du pays, et il garde dans son int'egrit'e toute sa libert'e d’action.
Quant `a toutes ces autres questions: libert'e de la presse — accomplissement de la r'eforme judiciaire — instruction populaire — suppression de l’exil administratif, de l’institution si d'ecri'ee des gendarmes ruraux, etc., il est difficile de pr'esumer qu’il s’'ecarte du syst`eme d’ordonnances lib'erales descendant du tr^one. Il pourra accorder de larges faveurs, sans avoir jamais l’air de reconna^itre un droit. On ne peut m^eme pas supposer que des assembl'ees puissent ^etre appel'ees `a d'elib'erer et `a donner leur avis sur ces sujets.
On s’occupe beaucoup des mesures pr'eventives qu’il pourra prendre contre les nihilistes et de la s'ev'erit'e qu’il montrera `a leur 'egard. Il est pr'esumable que les circonstances seules d'etermineront sa conduite. Il ne voudra pas se venger, mais il saura pr'evenir et punir.
A l’ext'erieur, on peut affirmer que le tzar gardera une politique tout `a fait pacifique, presque recueillie, une allure de r'eserve extr^eme.
Il s’efforcera de conserver ses bonnes relations avec l’Allemagne, pour laquelle son attitude sera sensiblement la m^eme que celle de son p`ere. La France b'en'eficiera sans doute d’une nuance de sympathie plus marqu'ee, tandis que, dans ses rapports avec l’Autriche, appara^itra vraisemblablement une apparence de d'efiance. Dans tous les cas c’en est fini, bien fini, de ce qu’on appelait la triple alliance. On ne la verra plus rena^itre. Les relations nouvelles de la Russie avec l’Angleterre prendront presque certainement un caract`ere de cordialit'e plus grande qui se manifestera surtout par la cessation des tentatives, de la marche en avant de la Russie vers l’Asie. Une consid'eration (toujours pr'epond'erante) qui nous fait pr'edire cette gracieuset'e d’Alexandre III pour l’Angleterre, c’est l’amiti'e tr`es vive, qui l’unit au prince de Galles.