On s’ing'enie d`es aujourd’hui `a pr'evoir quelles influences pourront agir sur l’esprit du jeune souverain. Toutes les suppositions sont vaines. Son humeur ind'ependante lui fera secouer toute pression, de quelque part qu’elle vienne. Il n’est qu’une personne peut-^etre dont les conseils seront toujours 'ecout'es, sinon suivis: c’est M. Pob'edonostsef, fils d’un professeur d’universit'e `a Moscou, homme fort instruit, ancien pr'ecepteur du tzarewitch et actuellement procureur g'en'eral au Saint-Synode. Son caract`ere est 'el'ev'e, son 'erudition tr`es large, mais sa pi'et'e exag'er'ee en fait un orthodoxe presque fanatique.
Pendant la derni`ere ann'ee du r`egne d’Alexandre II le nouvel empereur s’est beaucoup rapproch'e du comte Loris-Melikoff et du comte Miliutine, dont il a appr'eci'e les hautes qualit'es. Il est `a pr'esumer que ces deux personnages conserveront leur poste. Tous les fonctionnaires appartenant au parti allemand seront presque certainement frapp'es, et les grands-ducs, oncles du tzar, pour qui il ne cache gu`ere son peu de respect et d’affection, tomberont en disgr^ace et n’auront, de toute facon, aucune influence d’aucune sorte.
Le grand-duc Wladimir, fr`ere d’Alexandre III, qui vient d’^etre nomm'e chef de toute la garde et commandant des forces militaires de Saint-P'etersbourg, exercera dans le r`egne qui commence une autorit'e puissante dont est garante la grande amiti'e de son fr`ere.
Pour r'esumer en quelques mots la situation, nous verrons probablement un r`egne o`u sera justifi'e jusqu’`a un certain point le titre «d’empereur des paysans» qu’on donne d`es `a pr'esent au tzar. Nous assisterons `a de grandes am'eliorations dans l’'etat actuel, am'eliorations qui viseront particuli`erement les classes rurales, mais qui s’'etendront aussi aux autres classes. Ces derni`eres r'eformes porteront surtout sur la direction des finances, l’instruction publique et l’administration, dont la d'ecentralisation est plus que probable.
Mais toutes ces mesures, nous le r'ep'etons, viendront d’en haut, comme un effet du bon plaisir, de la lib'eralit'e du souverain, qui pourra consentir, comme maximum de concession, `a prendre conseil d’une assembl'ee 'elue, mais tout en gardant son droit intact de d'ecider en dernier ressort.
A l’ext'erieur, politique pacifique, politique de douceur, cessation des tentatives vers l’Asie, relations plus ou moins sympathiques, mais froides en g'en'eral avec le reste de l’Europe, il est probable 'egalement que le tzar r'esistera `a la politique radicalement panslaviste `a laquelle t^achera de le pousser le parti national slavophile, auquel il est intimement uni.
Quant aux nihilistes qui supposent que l’empereur pourra ^etre amen'e par la peur `a accorder des concessions plus grandes, `a donner m^eme une constitution, ils se trompent grossi`erement, ignorant tout `a fait son caract`ere et son 'energie. Leurs tentatives d’intimidation ne feront que l’arr^eter dans la voie lib'erale o`u le conduit sa nature; s’il y fait quelques pas, ce ne sera point parce qu’ils l’auront intimid'e, mais quoiqu’ils l’aient menac'e.
Plac'es entre le parti ultra-national et la faction nihiliste, les lib'eraux constitutionnels t^acheront et r'eussiront peut-^etre `a prouver `a l’empereur que les r'eformes lib'erales, loin d’'ebranler son tr^one, ne feraient que l’affermir. Puissent-ils le convaincre (car son esprit est large et 'eclair'e) qu’ils ne sont pas pouss'es par un simple d'esir d’imiter l’Europe, mais que des modifications profondes dans l’organisation politique du gouvernement sont devenues n'ecessaires! Les Russes sont de la m^eme race que les autres peuples europ'eens, leur instruction et leur civilisation sont analogues, leurs besoins sont identiques, leur langue ob'eit `a la m^eme grammaire: aussi pourquoi la vie politique du peuple russe ne reposerait-elle pas sur les m^emes assises constitutionelles que celles des nations ses voisines?
La situation sociale, politique et financi`ere de la Russie est certainement grave; et ce n’est pas en vain que, dans son manifeste d’av`enement, Alexandre III parle de la lourde t^ache qui lui incombe. Un autocrate de g'enie pourrait y 'echouer; un souverain honn^ete homme, s’appuyant sur les forces vives de la nation et les appelant `a son aide, a des chances de r'eussir.
Перевод:
Александр III
Не только в России, но и во всей Европе с беспокойством ожидают первых шагов нового государя, чтобы постараться предугадать, какую он займет позицию, каковы будут в дальнейшем его намерения и весь образ его правления.
На многое надеются. Многого и опасаются. Перебирают всё, что знают о его жизни, и отсюда выводят свои заключения, наконец спрашивают себя: «Не изменит ли в корне ужасная смерть его отца уже сложившиеся у него и известные нам взгляды?»