Que ce mot, toutefois, ne cause pas d’illusion. Pouchkine n’a jamais rien 'ecrit pour la sc`ene, pour la repr'esentation th'e^atrale; il a seulement donn'e `a quelques sujets la forme dialogu'ee, la forme dramatique. Tel est, en premi`ere ligne, «Boris Godounoff». C’est un drame historique 'evidemment. Et pourtant il ne porte pas ce titre; il n’est pas divis'e en actes, pas m^eme en sc`enes. Les fragments qui le composent, dans l’ordre des dates et des 'ev'enements, forment comme les chapitres d’une chronique en dialogue. Ces chapitres sont g'en'eralement 'ecrits en vers, en vers blancs non rim'es, tels qu’on les trouve dans le grec ou le latin, ainsi que dans les idiomes modernes qui ont les accents po'etiques, l’allemand ou l’anglais. Cependant plusieurs de ces chapitres sont 'ecrits en prose, lorsque cette forme convient mieux au dialogue devenu familier et trivial. L’un d’eux, par exception, est 'ecrit en petits vers rim'es, pour donner `a une causerie de femmes plus de gr^ace et de coquetterie. Nous aurons soin d’indiquer ces changements de forme en t^ete de chaque sc`ene. Le drame de «Boris Godounoff» fut compos'e en 1825, et publi'e peu de temps apr`es. Quel 'etonnement ce dut ^etre parmi tous les Russes lettr'es, de voir un jeune homme de vingt-cinq ans s’'elever tout `a coup `a la forme de Shakespeare dans ses drames chroniques, lorsqu’`a peine commencait de poindre en Europe ce qu’on a nomm'e la fi
Les petites pi`eces qui ont pour titre «Mozart et Sali'eri» et «la Rouss^alka» furent 'egalement publi'ees du vivant de Pouchkine. La premi`ere est, comme on le verra, une esp`ece d’'etude psychologique qui repose sur un bruit d’empoisonnement, assez r'epandu `a la mort presque subite de Mozart, sans autre fondement toutefois que la jalousie connue de Sali'eri `a l’'egard d’un rival qui l’'eclipsait. La seconde a pour sujet une l'egende populaire.
Mais l’autre petite pi`ece intitul'ee «le Baron avare» fut trouv'ee dans les papiers de Pouchkine apr`es sa mort, et publi'ee seulement parmi ses aeuvres posthumes. Quelques-uns supposent qu’il entrait dans la pens'ee de l’auteur de continuer ce sujet, et d’en faire un drame entier avec le personnage d’Albert. Cependant il nous semble que l’on peut fort bien trouver dans ces trois sc`enes une aeuvre compl`ete, une autre 'etude psychologique, o`u l’avarice, sans ^etre moins ha"issable, se montre sous une forme 'energique, grandiose, po'etique m^eme, que jamais elle n’avait rev^etue.
Quant au drame de «l’Invit'e de pierre», — qui est un nouveau «Don Juan», apr`es ceux de Tirso de Molina, de Moli`ere, de Mozart, de Byron, — bien qu’'ecrit en 1830, non-seulement Pouchkine ne l’avait pas publi'e `a sa mort, sept ans apr`es, mais il n’avait m^eme jamais r'ev'el'e `a ses amis ni l’aeuvre faite, ni le projet de la faire. Il semble ne l’avoir 'ecrite que pour lui-m^eme. Peut-^etre que, dans sa modestie sinc`ere et non affect'ee, il avait eu quelque scrupule, quelque honte, de reprendre ce sujet apr`es tant d’illustres devanciers, et d’y faire fl'echir le caract`ere du h'eros, qui para^it se prendre dans ses propres filets, et mourir autrement qu’il n’avait v'ecu, amoureux tout de bon. Nous croyons qu’on nous saura gr'e de tirer aussi de ses aeuvres posthumes ce puissant drame en quelques sc`enes, qui suppose la connaissance des drames ant'erieurs sur le m^eme sujet. Ce sera permettre une int'eressante comparaison, que Pouchkine, il nous semble, n’a point `a redouter.
Ce n’est point `a des traducteurs qu’il convient de vanter par avance les m'erites de l’original. Nous ne voulons pas m^eme faire remarquer comment Pouchkine ose, en toute circonstance, aller droit au fait, sans biais ni d'etours, et, suivant l’expression espagnole, comment il attaque bravement le taureau par les cornes. Nous voulons seulement rappeler combien la prose, m^eme la prose francaise, et peut-^etre elle surtout, est impuissante `a rendre avec un peu plus que l’exactitude du sens toutes les beaut'es d’une po'esie de laquelle les Russes disent unanimement qu’elle r'eunit la force et l’ampleur de Corneille aux gr^aces et aux d'elicatesses de Racine. Comme aucun de nos lecteurs ne peut manquer d’avoir compar'e des po'esies, soit antiques soit modernes, avec la prose qui essaye de les faire passer dans notre langue, et d’avoir reconnu l’insuffisance de ces traductions, il faut, pour l’honneur de Pouchkine, que leur imagination nous vienne en aide, et s’efforce d’ajouter `a notre simple canevas la broderie po'etique dont nous avons forc'ement d'epouill'e ses aeuvres.
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