Pour nous, qui regardons du dehors
, rien n’est plus facile, assurément que de distinguer dans l’Europe Occidentale le monde des faits, des réalités historiques, d’avec ce mirage immense et persistant, dont l’opinion révolutionnaire, armée de la presse périodique, <нрзб.> comme recouvert la Réalité. Et c’est dans ce mirage que vit et se meut, comme dans son élément naturel, depuis 30 à 40 ans, cette puissance aussi fantastique que réelle que l’on appelle l’Opinion publique…C’est une étrange chose, après tout, que cette fraction de la — le Public. C’est là, à proprement parler, la vie peuple, le peuple élu de la Révolution. C’est cette minorité de la société occidentale qui (sur le continent au moins), grâce à la direction nouvelle, a rompu avec la vie historique des masses et a secoué toutes les croyances positives… Ce peuple anonyme est le même dans tous les pays. C’est le peuple de l’individualisme, de la négation. Il y a cependant en lui un élément qui, tout négatif qu’il est, lui sert de lien et lui fait comme une sorte de religion. C’est la haine de l’autorité sous toutes les formes et à tous ses degrés, la haine de l’autorité comme principe. Cet élément parfaitement négatif, dès qu’il s’agit d’édifier et de conserver, devient terriblement positif, dès qu’il est question de renverser et de détruire. — Et c’est là, soit dit en passant, ce qui explique les destinées du gouvernement représentatif sur le continent. Car ce que les institutions nouvelles ont appelé jusqu’à présent la représentation, ce n’est pas, quoi qu’on en dise, la société elle-même, la société réelle avec ses intérêts et ses croyances, mais c’est ce quelque chose d’abstrait et de révolutionnaire qui s’appelle le public, représentant des opinions et rien de plus. Aussi ces institutions ont bien pu fomenter sachant l’opposition, mais nulle part jusqu’à présent elles n’ont <нрзб.> fondé un gouvernement…
Le monde réel, toutefois, le monde de la réalité historique, même sous le mirage n’en est pas moins resté ce qu’il est et n’en a pas moins poursuivi son chemin tout à côté de ce monde de l’opinion publique qui, grâce à l’acquiescement général, avait aussi acquis une sorte de réalité.
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Après que le parti révolutionnaire nous a donné le spectacle de son impuissance, vient maintenant le tour des gouvernements qui ne tarderont pas à prouver que s’ils sont encore assez forts pour s’opposer à une destruction complète, ils ne le sont plus assez pour rien réédifier. Ils sont comme ces malades qui réussissent à triompher de la maladie, mais après que la maladie a profondément altéré leur constitution, et dont la vie désormais n’est plus qu’une lente agonie. L’année 1848 a été un tremblement de terre qui n’a pas renversé de fond en comble tous les édifices qu’elle a ébranlés, mais ceux même qui sont restés debout ont tellement été lézardés par la secousse, que leur chute définitive est toujours imminente.