Quant au symbole révolutionnaire, nous le connaissons, et précisément, parce que nous le connaissons, nous nous expliquons fort bien d’où lui vient son ascendant irrésistible sur l’Occident, — les méprises ne sont plus possibles, toute équivoque volontaire ou involontaire serait hors de saison.
La Révolution, à la considérer dans son principe le plus essentiel, le plus élémentaire, est le produit net, le dernier mot, le mot suprême de ce que l’on est convenu d’appeler depuis 3 siècles la civilisation de l’Occident. C’est la pensée moderne toute entière depuis sa rupture avec l’Eglise.
Cette pensée est celle-ci: l’homme, en définitive, ne relève que de lui-même, tant pour la direction de sa raison que pour celle de sa volonté. Tout pouvoir vient de l’homme, tout autorité qui se réclame d’un titre supérieur à l’homme n’est qu’une illusion ou une déception. En un mot, c’est l’apothéose du
Tel est qui l’ignore, le credo de l’école révolutionnaire; mais, sérieusement parlant, la société de l’Occident, la civilisation de l’Occident en a-t-elle un autre?..
Et les Pouvoirs publics de cette société, eux, qui depuis des générations n’ont eu pour y vivre d’autre milieu intellectuel que celui-là, comment feront-ils maintenant pour en sortir? Et comment, sans en sortir, trouveront-ils le point d’Archimède dont ils ont besoin pour y placer leur levier?
M-r Guizot lui-même a beau tonner maintenant contre la démocratie européenne, a beau lui reprocher, comme le principe de toutes ses erreurs et de tous ses méfaits, son idolâtrie pour elle-même: la démocratie occidentale, en se prenant pour l’objet de son culte, n’a fait, il faut bien le reconnaître, que suivre aveuglement les instincts que vous-même et vos propres doctrines ont contribué, autant que quoi que soit, à développer en elle? En effet, qui donc, plus que vous et votre école a réclamé, a revendiqué pour la raison de l’homme les droits de l’autonomie; qui nous a enseigné à voir dans la réformation religieuse du 16-ième siècle moins encore un mouvement de réaction contre les abus et les prétentions illégitimes du catholicisme romain qu’une ère de l’émancipation définitive de la raison humaine, salué dans la philosophie moderne la formule scientifique de cette émancipation et glorifié dans le mouvement révolutionnaire de 1789 l’avènement au pouvoir, la prise de possession de la société moderne, par cette raison de l’homme, ainsi émancipé et ne relevant plus que d’elle-même? Après de pareils enseignements comment voulez-vous que le
Reconnaissons-le donc, la Révolution, variée à l’infini dans ses degrés et ses manifestations, est une et identique dans son principe, et c’est de ce principe, il faut bien l’avouer, qu’est sortie la civilisation actuelle de l’Occident.
Nous ne nous dissimulons pas l’immense portée de cet aveu. Nous savons fort bien que c’est le fait que nous venons d’énoncer qui imprime à la dernière catastrophe européenne le cachet d’une époque tragique entre toutes les époques de l’histoire du monde. Nous assistons, très probablement, à la banqueroute d’une civilisation toute entière…
En effet, voilà depuis mainte et mainte générations que nous vous voyons, hommes de l’Occident, tous occupés, peuples et gouvernements, riches et pauvres, les doctes et les ignorants, les philosophes et les gens du monde, tous occupés à lire en commun dans le même livre, dans le livre de la raison humaine émancipée, lorsqu’en février de l’année 1848 une fantaisie subite est venue à quelques-uns d’entre vous, les plus impatients, les plus aventureux, de retourner la dernière page du livre et d’y lire la terrible révélation que vous savez… Maintenant on a beau se récrier, se gendarmer contre les téméraires. Comment faire, hélas, que ce qui a été lu, n’ait pas été lu… Réussira-t-on à sceller cette formidable dernière page? Là est le problème.
Je sais bien que dans les sociétés humaines tout n’est pas doctrine ou principe, qu’indépendamment des uns et des autres il y a les intérêts matériels qui suffisent ou à peu près, dans les temps ordinaires, à assurer leur marche, il y a, comme dans tout organisme vivant, l’instinct de la conservation, qui peut pendant quelque temps lutter énergiquement contre une destruction imminente. Mais l’instinct de la conservation qui n’a jamais pu sauver une armée battue, pourrait-il à la longue protéger efficacement une société en déroute?