Читаем Том 3. Публицистические произведения полностью

Eh bien, ce qu’il y a de particulier dans cette brutale utopie, c’est que, quel que soit le caractère profondément anti-historique dont elle est empreinte, elle aussi a sa tradition bien connue dans l’histoire de la civilisation italienne. — Elle n’est après tout que la réminiscence classique de l’ancien monde païen, de la civilisation païenne, — tradition qui a joué un grand rôle dans l’histoire de l’Italie, qui s’est perpétuée à travers tout le passé de ce pays, qui a eu ses représentants, ses héros et même ses martyrs et qui, non contente de dominer presque exclusivement ses arts et sa littérature, a tenté à plusieurs reprises de se constituer politiquement pour s’emparer de la société tout entière. Et, chose remarquable, — chaque fois que cette tradition, celle tendance a essayé de renaître, elle est toujours apparue à la manière des revenants, invariablement attachée à la même localité — à celle de Rome.

Arrivée jusqu’à nos jours, le principe révolutionnaire ne pouvait guère manquer de l’accueillir et de se l’approprier à cause de la pensée anti-chrétienne qui était en elle. Maintenant ce parti vient d’être abattu et l’autorité du Pape en apparence restaurée. Mais si quelque chose, il faut en convenir, pouvait encore grossir le trésor de fatalités que cette question romaine renferme, c’était de voir ce double résultat obtenu par une intervention de la France.

Le lieu commun de l’opinion courante au sujet de cette intervention c’est de n’y voir, comme on le fait assez généralement, qu’un coup de tête ou une maladresse du gouvernement français. Ce qu’il y a de vrai à dire, à ce sujet, c’est que si le gouvernement français, en s’engageant dans cette question insoluble en elle-même, s’est dissimulé qu’elle était plus insoluble pour lui que pour tout autre, cela prouverait seulement de sa part une complète inintelligence tant de sa propre position que de celle de la France… ce qui d’ailleurs est fort possible, nous en convenons.

En général on s’est trop habitué en Europe, dans ces derniers temps, à résumer l’appréciation que l’on fait des actes ou plutôt des velléités d’action de la politique française par une phrase devenue proverbiale: «La France ne sait ce qu’elle veut». — Cela peut être vrai, mais pour être parfaitement juste on devrait ajouter que la France ne peut pas savoir ce qu’elle veut. Car pour y réussir il faut avant tout avoir Une volonté — et la France depuis soixante ans est condamnée à en avoir deux.

Et ici il ne s’agit pas de ce désaccord, de cette divergence d’opinions politiques ou autres qui se rencontrent dans tous les pays où la société par la fatalité des circonstances se trouve livrée au gouvernement des partis. II s’agit d’un fait bien autrement grave; il s’agit d’un antagonisme permanent, essentiel et à tout jamais insoluble, qui depuis soixante ans constitue, pour ainsi dire, le fond même de la conscience nationale en France. C’est l’âme de la France qui est divisée.

La Révolution, depuis qu’elle s’est emparée de ce pays, a bien pu le bouleverser, le modifier, l’altérer profondément, mais elle n’a pu, ni ne pourra jamais se l’assimiler entièrement. Elle aura beau faire, il y a des éléments, des principes dans la vie morale de la France qui résisteront toujours — ou du moins aussi longtemps qu’il y aura une France au monde; tels sont: l’Eglise catholique avec ses croyances et son enseignement; le mariage chrétien et la famille, et même la propriété. D’autre part, comme il est à prévoir que la Révolution, qui est entrée non-seulement dans le sang, mais dans l’âme même de cette société, ne se décidera jamais à lâcher prise volontairement, et comme dans l’histoire du monde nous ne connaissons pas une formule d’exorcisme applicable à une nation tout entière, il est fort à craindre que l’état de lutte, mais d’une lutte intime et incessante, de scission permanente et pour ainsi dire organique, ne soit devenu pour bien longtemps la condition normale de la nouvelle société française.

Et voilà pourquoi dans ce pays, où nous voyons depuis soixante ans se réaliser cette combinaison d’un Etat révolutionnaire par principe traînant à la remorque une société qui n’est que révolutionnée, le gouvernement, le pouvoir qui tient nécessairement des deux sans parvenir à les concilier, s’y trouve fatalement condamné à une position fausse, précaire, entourée de périls et frappée d’impuissance. Aussi avons-nous vu que depuis cette époque tous les gouvernements en France — moins un, celui de la Convention pendant la Terreur, — quelque fût la diversité de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci en commun: c’est que tous, sans excepter même celui du lendemain de Février, ils ont subi la Révolution bien plus qu’ils ne l’ont représentée. Et il n’en pouvait être autrement. Car ce n’est qu’à la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Mais il est vrai de dire que, jusqu’à présent du moins, ils ont tous péri à la tâche.

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