Et voilà pourquoi cet ordre: «
Mais ce n’est pas seulement contre les jésuites, cette force vive du catholicisme, qu’on a cherché à exploiter la popularité moitié factice, moitié sincère dont on avait enveloppé le pape Pie IX. Un autre parti encore comptait aussi sur lui — une autre mission lui était réservée.
Les partisans de l’indépendance nationale espéraient que, sécularisant tout à fait la Papauté au profit de leur cause, celui qui avant tout est prêtre, consentirait à se faire le gonfalonier de la liberté italienne. C’est ainsi que les deux sentiments les plus vivaces et les plus impérieux de l’Italie contemporaine: l’antipathie pour la domination séculière du clergé et la haine traditionnelle de l’étranger, du barbare, de l’Allemand, revendiquaient tous deux, au profit de leur cause, la coopération du Pape. Tout le monde le glorifiait, le déifiait même, mais à la condition qu’il se ferait le serviteur de tout le monde, et cela dans un sens qui n’était nullement celui de l’humilité chrétienne.
Parmi les opinions ou les influences politiques qui venaient ainsi briguer son patronage en lui offrant leur concours, il y en avait une qui avait jeté précédemment quelque éclat parce qu’elle avait eu pour interprètes et pour apôtres quelques hommes d’un talent littéraire peu commun. A en croire les doctrines naïvement ambitieuses de ces théoriciens politiques, l’Italie contemporaine allait sous les auspices du Pontificat romain récupérer la primauté universelle et ressaisir pour la troisième fois le sceptre du monde. C’est-à-dire qu’au moment où l’établissement papal était secoué jusque dans ses fondements, ils proposaient sérieusement au Pape de renchérir encore sur les données du moyen-âge et lui offraient quelque chose comme un Califat chrétien — à la condition, bien entendu, que cette théocratie nouvelle s’exercerait avant tout dans l’intérêt de la nationalité italienne.
On ne saurait, en vérité, assez s’émerveiller de cette tendance vers le chimérique et l’impossible qui domine les esprits de nos jours et qui est un des traits distinctifs de l’époque. Il faut qu’il y ait une affinité réelle entre l’utopie et la Révolution, car chaque fois que celle-ci, un moment infidèle à ses habitudes, veut créer au lieu de détruire, elle tombe infailliblement dans l’utopie. Il est juste de dire que celle à laquelle nous venons de faire allusion est encore une des plus inoffensives.
Enfin vint un moment dans la situation donnée où, l’équivoque n’étant plus possible, la Papauté, pour ressaisir son droit, se vit obligée de rompre en visière aux prétendus amis du Pape. C’est alors que la Révolution jeta à son tour le masque et apparut au monde sous les traits de la république romaine.
Quant à ce parti on le connaît maintenant, on l’a vu à l’œuvre. C’est le véritable, le légitime représentant de la Révolution en Italie. Ce parti-là considère la Papauté comme son ennemi personnel à cause de l’élément chrétien qu’il découvre en elle. Aussi n’en veut-il à aucun prix, pas même pour l’exploiter. Il voudrait tout simplement la supprimer et c’est par un motif semblable qu’il voudrait aussi supprimer tout le passé de l’Italie, toutes les conditions historiques de son existence comme entachées et infectées de catholicisme, se réservant de rattacher, par une pure abstraction révolutionnaire, l’existence du régime qu’il prétend fonder, aux antécédents républicains de l’ancienne Rome.