Deux mots, mon cher Gagarine, car je n’ai ni le loisir, ni la disposition d’esprit assez épistolaire, pour vous en écrire davantage. J’apprends que vous êtes à Paris, et c’est là où je vous adresse ces lignes. J’ignore quels sont dans ce moment vos projets et vos espérances pour l’avenir, mais dans tous les cas vous ferez de mon avis tel usage qu’il vous plaira. — Voici ce que c’est: la place de 2d secrétaire à Turin va devenir vacante, car le Petit-Russien, qui l’a remplie jusqu’à présent*, quitte ces jours-ci Turin pour n’y plus retourner. Or, maintenant que je connais le pays, j’ai pensé que cette place, à moins que vous n’ayez en vue quelque chose de beaucoup mieux, pourrait vous convenir sous plus d’un rapport. — Ne vous laissez pas rebuter par l’insipidité du séjour qui est grande, j’en conviens; pour vous la place en Turin n’est qu’un pied-à-terre en Italie, qui vous mettrait à même de la parcourir dans toutes les directions et d’y choisir à volonté le séjour qui vous conviendrait le mieux. Vous feriez ainsi le stage de 2d secrét d’une manière beaucoup moins ennuyeuse là que partout ailleurs, et vous savez que d’après les nouveaux arrangements il y a moins de chance que jamais de pouvoir enjamber les degrés. Espérer le contraire, c’est une illusion dont on ne saurait assez soigneusement se garantir, car elle en a déjà perdu plusieurs. — Quant au caractère personnel d’Obrescoff*, je vous le garantis aussi bon, sinon meilleur que celui de la plupart de ceux qui passent pour l’avoir très bon. La réputation qu’on lui a faite est une très plate mystification, et il n’est pas même nécessaire que vous soyez ce que vous êtes, pour pouvoir compter sur les meilleurs procédés de sa part. D’ailleurs, il est probable que vous n’auriez pas affaire à lui. — Depuis longtemps il brûle du désir de quitter Turin, et le désagrément qu’il vient d’éprouver à cette cour* n’aura pas contribué à le lui faire passer. Notre Ministère, de son côté, sentira probablement aussi qu’il y a opportunité et convenance de ne pas le contrarier dans ce désir, — et comme en ce moment il n’y a pas d’autre poste à lui donner, on sera, je suppose, bien aise de pouvoir lui accorder en attendant ce congé qu’il désire si ardemment.