Cette secte a aussi ses satrapes, qui sont connus du c^ot'e d'Alep sous le nom de
fakiran, et que le vulgaire appelle
karabasche, parce qu'ils portent sur la t^ete un
bonnet noiravec des bandelettes de m^eme couleur. Leur manteau ou
aba, est pareillement noir, mais leurs habits de dessous sont blancs. Ces gens-l`a sont en tr`es petit nombre; partout o`u ils vont, on leur baise les mains, et on les recoit comme des ministres de b'en'ediction, et des pr'esages de bonne fortune. Quand on les appelle aupr`es d'un malade, ils lui imposent les mains sur le cou et sur les 'epaules et sont bien r'ecompens'es de leurs peines. S'ils sont mand'es pour assurer `a un mort le bonheur dans l'autre monde avant de v^etir le cadavre, ils le dressent sur ses pieds, et lui touchent l'eg`erement le cou et les 'epaules; ensuite ils le frappent de la paume de la main droite, lui adressant en m^eme temps ces mots en langue kourde,
ara b'ehescht, c'est-`a-dire
vas en paradis. Ils sont ch`erement pay'es pour cette c'er'emonie, et ne se contentent point d'une modique r'etribution.Les Y'ezidis croient que les ^ames des morts vont dans un lieu de repos, o`u elles jouissent d'un degr'e de f'elicit'e plus ou moins grand, en proportion de leurs m'erites; et qu'elles apparaissent quelquefois en songe `a leurs parents et `a leurs amis, pour leur donner avis de ce qu'elles d'esirent. Cette croyance leur est commune avec les Turcs. Ils sont persuad'es aussi qu'au jour du jugement universel, ils s'introduiront dans le paradis, les armes `a la main.
Les Y'ezidis sont partag'es en plusieurs peuplades ou tribus, ind'ependantes les unes des autres. Le chef supr^eme de leur secte n'a d'autorit'e, pour le temporel, que sur la seule tribu: n'eanmoins, lorsque plusieurs tribus sont en diff'erent les unes avec les autres, il est de son devoir d'employer sa m'ediation pour les concilier, et il est rare que les efforts qu'il fait pour cela ne soient pas couronn'es d'un heureux succ`es. Quelques-unes de leurs tribus demeurent dans les domaines du prince Gioulemerk, d'autres dans le territoire du prince de G'ezir`eh; il y en a qui font leur r'esidence dans les montagnes d'ependantes du gouvernement de Diarb'ekir, d'autres sont dans le ressort du prince d'Amadia. Du nombre de ces derni`eres est la plus noble de toutes les tribus, qui est connue sous le nom de
scheikhan, et dont le scheikh, qu'ils appellent
mir, c'est-`a-dire,
princeest le chef supr^eme de la religion, et le gardien du tombeau du scheikh Adi. Les chefs des villages occup'es par cette tribu descendent tous d'une m^eme famille, et pourraient se disputer la primatie, s'il survenait entre eux quelque division. Cependant entre toutes leurs peuplades, la plus puissante et la plus redoutable est celle qui habite la montagne de Singiar, entre Moussol et le fleuve Khabour, et qui est divis'ee entre deux scheikhs, dont l'un commande `a la partie du Levant, et autre `a celle du Midi. La montagne du Singiar fertile en diverses sortes de fruits, est d'un acc`es tr`es difficile, et la peuplade qui l'occupe met sur pied plus de six mille fusiliers, sans compter la cavalerie arm'ee de lances. Il ne se passe gu`ere d'ann'ee, que quelque grosse caravane ne soit d'epouill'ee par cette tribu. Les Y'ezidis de cette montagne ont soutenu plusieurs guerres contre les pachas de Moussol et de Bagdad; dans ces occasions, apr`es qu'il y a eu beaucoup de sang r'epandu de part et d'autre, le tout finit par s'arranger moyennant de l'argent. Ces Y'ezidis sont redout'es en tout lieu, `a cause de leur cruaut'e: lorsqu'ils exercent leurs brigandages arm'es, ils ne se bornent pas `a d'epouiller les personnes qui tombent entre leurs mains, ils les tuent toutes sans exception; si dans le nombre il se trouve de
sch'erifs, descendants de Mahomet, ou des docteurs musulmans, ils les font p'erir d'une mani`ere plus barbare, et avec plus de plaisir, croyant acqu'erir par-l`a un plus grand m'erite.Le Grand-Seigneur tol`ere les Y'ezidis dans ses 'etats, parce que, suivant l'opinion des docteurs mahom'etans, l'on doit consid'erer comme fid`ele et vrai croyant, tout homme qui fait profession des dogmes fondamentaux
il n'y a point d'antre Dieu que Dieu, et Mahomet est l'ap^otre de Dieu, quoique d'ailleurs il manque `a tous les autres pr'eceptes de la loi musulmane.